1055.
La profusion me plaît, je me repère très bien, je navigue sans compas. Deux bouts d’index et je termine un livre ; dix doigts, la table du libraire. Un pas,
deux piles ; dix pas, trois tables. J’avale, j’avale, j’avale. Je suis le spécialiste des livres sans auteur, sans titre, sans phrase, auxquels ne manque aucun lecteur. Toute la littérature
contemporaine en temps réel, produite et digérée. Je ne m’en lasse pas.
Puis la libraire apporte ma commande et je repars.
J’écoutais en même temps le représentant faire l’article à une autre libraire. Des livres, des livres, des livres. Ni l’un ni l’autre n’en avaient lu les premières
lignes, mais l’un et l’autre semblaient s’entendre à demi-mot, la connivence de l’un trouvant écho dans le dédain de l’autre, et vice-versa, dans un duo rodé de tutoiements laineux et d’accords
rauques. Le sort d’une trentaine d’ouvrages fut décidé en moins de temps qu’il ne m’en faut pour feuilleter la pile des nouveautés.
– C’est l’histoire d’un type qui perd ses bras. C’est l’histoire d’un écrivain qui s’appelle Mallarmé. C’est le récit d’une histoire vraie où tout est arrivé. C’est
l’histoire d’une femme à qui l’on coupe deux –
Pas de panique. Les retours sont sur place.
Je vais vous écrire. Je vais vous écrire une longue lettre. Il me faut du temps. Pas ici. Et pas comme ça. Je crois que je suis capable de vous écrire ce que j’ai à vous dire.
Est-ce que vous vous sentez capable d’entendre ce que j’ai à vous dire ?
Chère Anastasia, il n’attend que vos clartés.
Connaissance
du
monde
(2)
23 Abattre un éléphant
24-Décrépitude d’A.J. Cronin
25-L’âge d’or de l’agonie
26-Se mettre minable
27-La
littérature jeunesse avant
2000
28-Le syndrome du
Pharisien
29-Portabilité et vecteur de soi
30-Flop de la roue orbitale
31-Machine arrière
32-La fin des automates
33-Les lanceuses vaginales Thaï de balle de
ping-pong
34-La crucifixion par les pieds
Connaissance
du
monde
(2)
34-La crucifixion par les pieds
Nous n’aborderons pas ici le débat assez creux
de savoir si une crucifixion par les pieds demeure ou non une crucifixion. Il n’empêche que le phénomène relève d’une erreur de procédure dommageable et hautement reprochable au législateur
antique, s’il pouvait encore s’en mordre les phalanges. Car il y avait dès l’origine gros à parier qu’en cédant aux ultras de tous bords une faveur, un doigt, on finirait, et bien avant même le
défilé des siècles, par y mettre un bras d’injustice, tout impuissant à rétablir la norme de la loi.
On peut dater la naissance du martyr sous sa
forme la plus démonstrative à la crucifixion de Pierre, marquant ainsi le rituel des dernières volontés du condamné et autres aberrations qui sont en vérité une saillie significative du
capitalisme appliqué à l’exécution de la décision de justice. En somme, le cas de Pierre a créé de facto le supply chain du Droit, ouvrant ainsi bien tristement et bien grand la porte aux
industries du tabac, du fastfood, du piratage et, bien entendu, de la gymnastique acrobatique.
Connaissance
du
monde
(1)
1-Devenir une archive
2-La fatigue de Mickey
3-Dernier argument en faveur de Louis XVI
4-Le long sifflement des électriciens
5-Collodi et l’inversion générative
6-La montagne de Banyuls-sur-mer ou pas
7-Poujade prêt-à-porter
8-Le X et la rupture
épistémologique
9-Le stand-by comme hold-up
mémoriel
10-L’algorithme poreux
11-Presse occulte
12-Rupture de la chaine
alimentaire
13-Naissance d’un abreuvoir
14-Sous le régime de l’objet
15-Higgs en rickshaw
16-Erratisme juvénile
17 Psychanalyse du bien
18-La greffe du poirier
19-NSA
20-Campo di Fiori vs.Fiori di campo
21-FFI et moyen terme
22-Réhabilitation de Néron
33-Les lanceuses vaginales Thaï de balle de
ping-pong
Outre la difficulté de qualification d’un
phénomène pourtant relativement connu, c’est le rapport entre le propulseur et la portée réelle de la balle de ping-pong qui entre pleinement en question. Certes, si ces femmes de cabaret ne
parvenaient à envoyer leur projectile qu’à la distance ridicule d’un roulé ou d’un écoulement, le spectacle ne vaudrait pas ses quelques dollars touristiques, encore faut il se demander in fine
si la distance compte tant, à savoir, passé un cap, et c’est là toute la difficulté de fixer de façon satisfaisante la distance à laquelle la balle de ping-pong provoquera ou pas l’ébahissement
ou la circonspection quant aux capacités expulsives du vagin de la femme, que nous qualifierons d’artiste même si le débat s’ouvre à nous, soit dit en passant aussi repoussant que la scène
ci-exposée en gros plan, à quelle distance donc l’intérêt quittera définitivement la balle pour se concentrer sur ce pour quoi le show est monté : le vagin et ses formidables aptitudes,
avec, ne nous croyez pas si naïfs, avec donc, en corollaire les supposées manipulations in vasculum mulieris d’un éventuel pénis, si tant est qu’après le show la dame se prostitue, ce
qui pour habitué est loin d’être automatique, ou bien que ses congénères aient été formées à cette même école. Par ailleurs, vous noterez pour un Occidental l’invraisemblable scène que constitue
la fameuse école, nommons-la club, dans le sens de club de sport, et laissons là les prudences et les formules, ces fameuses, et pourquoi donc fameuses et pourquoi
l’infamie a-t-elle toujours à voir avec la renommée ?, séances d’apprentissage de lancer de balle de ping-pong par l’action de la contraction maitrisée du vagin, sachant que le destinataire
d’une telle pratique n’est autre que celui pour qui elle parait le plus irréelle, inepte, abjecte.
Ainsi ces femmes sont-elles un miroir
spectaculaire de l’inconscient occidental en ce qu’elles proposent la forme la plus surgissante, la plus inouïe et pourtant la plus cohérence de ce que vos yeux cherchaient à voir depuis tant
d’années d’édification et de combat pulsionnels. Et quand bien même vous n’irez jamais en Thaïlande ou dans quelque bouge d’Asie du Sud-Est, dites-vous bien que le monde jusqu’aux antipodes
surréagit et pense pour vous.
32-La fin des automates
Pas qu’il n’y a plus personne
devant.
31-Machine arrière
La réversibilité des choses est la marque du
contemporain, non comme résultat mais comme cahier des charges, guide line et Bible. Cette prudence liminaire sans qu’elle soit jamais respectée est un marqueur fort du hiatus fondamental à la
source des trois religions du livre, comme si, soit dit en passant, les autres s’en passaient parfaitement, ce qui montre pour ceux, et ils sont légions, qui abusent de la dénomination, et en
cela tout abus et placage de mot sera marqué de fausseté, la formulation devant selon n’être que rare, un tait certain d’ignorance.
Un texte fondateur se reconnait d’abord à sa
propre réversibilité inscrite au cœur de l’appareil langagier ce qui, entre autres mots, l’immunise contre les écorchures de traduction, les exégèses à l’emporte-pièce et la folie
passagère.
30-Flop de la roue orbitale
Il y aurait eu à s’extasier en masse, applaudir
à raison pour une fois, à concevoir des cérémonies bruyantes mais non. L’invention ou plutôt la révolution de la roue orbitale a été passée sous le rouleau d’un silence poli, aucune application
si ce n’est un brevet de constructeur moto, plus en quête d’une vitrine que d’une véritable mise sur le marché. Veuillez en chercher le prix, totalement onirique, vous ne le trouverez pas. De là
à se demander si les cataclysmes de pensée que sont les inventions fondamentales de l’humanité ne sont pas tous voués au médiocre, au mieux à l’enthousiasme mesuré, mondain. De là également à
penser que l’antique roue à axe central, maintenant dépassée dans l’absolu mais tristement tenace eu égard à l’indifférence générale, que cette roue donc n’ait jamais provoqué autre chose que
cette même impassibilité qui frappe la roue orbitale. D’aucuns diront que l’humanité roulait bien sans cette dernière et que l’absence d’axe central, malgré la prouesse conceptuelle qu’elle
représente en sus de son enfantine ingéniosité, et sans doute faut-il y voir la première preuve de sa grandeur, n’engendre ni un progrès ni un « mieux rouler », pour reprendre ces
torsions langagières propres au snobisme mou de l’époque, mais on leur objectera, et c’est là la seconde fulgurance de la preuve, que le pauvre bougre inventeur de la roue orbitale est aussi
anonyme que ne l’est l’objet déçu de sa gloire, encore lui souhaiterait-on d’être vite mort mais il reste à craindre que non, aussi anonyme et rayé des listes nominatives du génie humain que son
homologue préhistorique, l’inventeur de la roue axiale.
Peut-être faudra-il plus d’un Copernic pour démontrer enfin au monde non pas la nécessité et le prodige d’une telle roue orbitale mais tout simplement son existence ; à moins de posséder un
permis moto, une petite fortune personnelle et un sens supérieur de l’avant-garde.
29-Portabilité et vecteur de soi
Beaucoup de nos contemporains usent leur énergie
à posséder un code téléphonique stable, quel que soit le choix ou le changement d’opérateur. Il convient, et ce contre toute logique apparente, de dire enfin qu’il n’y a rien de moins naturel que
de vouloir gagner ce qui semble être une fixité, du moins un repère inchangé, dans le flux des messages et échanges à distance. Il faudrait plutôt poser les termes de ce qui dans l’usage social
forme non pas l’identité de soi mais le vecteur de soi, à savoir quel est mon champ directionnel ainsi que sa force. En cela, on dira que le numéro de téléphone nous inscrit dans l’historicité et
non dans le flux présent. Notons que les anciens indicatifs du type Odéon
84.00 ne cachaient rien de
leur approche statique et narrative, les hommes s’inscrivaient d’abord dans une narration et le fait de porter un numéro Odéon
84.00 avait une incidence,
plus que réelle : impérative, sur l’existence et les modes de communication de leur porteur. Plus qu’un facteur identitaire fort, il s’agissait d’un élément de langage préexistant à tout
langage et en cela constitutif de la personne sociale.
La portabilité actuelle, joli mot hautement
trompeur, ne marque plus que vous portez le visage fixe de votre identité mais que c’est bien le code qui vous porte, non plus vers l’autre mais finalement nulle part étant vous comme lui
déconnectés du flux. En guise de preuve, vous n’aurez, une fois n’est pas coutume, qu’à regarder suffisamment en face la vacuité de la plupart de vos conversations.
28- Le syndrome
du Pharisien
Il s’agit ni plus
ni moins de l’injustice historique faite au lambda. Mettez-vous une seconde dans la peau et sous la barbe d’un Pharisien. Votre Jésus, c’est quoi finalement ? Une racaille ? Un chef de
bande qui vous écrase et vous oppresse sous les sourires de sa toute puissance ! Prenons pour exemple l’épisode de l’ânon attaché, sur
lequel aucun homme ne s’est jamais assis. Jésus envoie ses petites frappes pour mettre la main sur le bourricot, avec la persuasion du nombre, et ils l’embarquent au motif, à leur yeux parfait et
indiscutable, que « le seigneur en a besoin » ! En outre, ils font un foin impossible !
Ainsi, vous, vous
n’avez sans doute pas oublié que nous procédons par connivence et donc par empathie forcée en vous attribuant la fausse barbe du Pharisien, procédé somme toute discutable mais d’une efficacité
redoutable, vous donc, pauvre pharisien, vous l’honnête homme démocratique, vous le quidam indistinct qui a renoncé à tout relief pour la paix des cités, vous demandez poliment à la racaille si
elle peut se reprendre un peu, pour l’ordre public, les enfants, la civilisation quoi ! Et l’autre enfumé de vous répondre « S’ils se taisent, les pierres crieront ! » C’est certes
poétique, mais à ce
goutte-à-goutte-là, de coup de force en menace imagée, on s’impose vite à l’histoire des hommes ! Et dès lors nous connaissons bien des religions qui ne demandent qu’à
naître !
Notez que,
presque par extraordinaire mais c’est à l’inverse la preuve de la toute puissance dudit procédé d’incarnation et en cela on comprend, soit dit en passant, l’impact historique de Jésus, les
effets du syndrome disparaissent dès que vous vous serez débarrassé du postiche.
27-La littérature jeunesse avant 2000
La recette en est infecte mais pérenne. C’est une littérature indigente qui fait avant
toute chose violence aux voix d’enfants. Elle développe et conçoit sans limite des personnages-marionnettes embouchés par des ménopausées ou des prostatiques qui leur font faire des numéros
de vieux, improbables, des calembours d’après-guerre, des « moi, ça m’ plaisait pourtant bien » ! Ces écrivains ont l’humour provincial, ils pensent que pour rire un peu il faut
gouailler, avec un soupçon de parler berrichon, appeler les copains de classe Charlie et que ça fera l’affaire. Ils disent maîtresse en pensant blouse grise, chignon et bonnet
90-A ; ils pensent copain en culotte courte de bure, grosses chaussettes alpines et godillots crottés à la Van Gogh. Ils n’en démordent pas de leur école rêvée, archaïque ;
même pas la leur ! Parce que cette idylle d’enfance crasseuse qu’ils resservent invariablement en buffet froid, ils ne l’ont pas vécue ! On a lavé, frotté puis dressé leur mémoire à
coups de dictées champêtres, d’hameçons du jeudi, de noix à gauler, de cabris espiègles, eux qui se sont emmerdés quinze ans durant dans leur cage d’escalier !
Voilà ce qu’ils sont : des prolos anachroniques qui rêvent de rejoindre le
rang des grands buveurs d’encrier !
26-Se mettre minable
Il s’agit d’écrire, comme tout un chacun, comme ces légions de frustrés qu’on a trop bien formés. Nous
avons atteint l’absolu des anciennes élites progressistes, à savoir une nation d’écrivains, c’est-à-dire l’horreur laïque ! C’est ce à quoi ont abouti les décennies d’acharnement
républicain, à leur faire tous passer le doigt sur les lignes de tous les livres et à leur mater la plume au rouge, du haut en bas de la copie quadrillée. Et qu’en ont-ils fait, ces singes
outrés ? N’auraient-ils pas pu se taire ou bien vivre ou devenir curés ? Non, ils ont tous voulu devenir Diderot, Baudelaire, Borges ! Tous écrivains, en masse et
systématiquement ! A en épuiser les éditeurs les plus solides, avec leurs enveloppes kraft à renforts -des containers !- à en assurer pour La Poste une rente confortable, un second
souffle, à s’en faire des ateliers, des agrégats de nuisance, des concours ! Tout un peuple hypertrophié dont l’ambition ultime est de dégueuler sa cervelle en format 150 pages ! Une
bouillie nationale qui a trouvé dans le Net son écosystème. Et rien à dégager de lisible ou de sensé de ce magma verbeux. Ce monde a réellement changé d’échelle et certains gardent l’espoir naïf
qu’on en trouvera l’instrument de lecture et de compréhension, comme un remède qui rendrait la vie plus simple.
De notre côté, nous formons le rêve d’un commando de pédagogues sournois œuvrant à contre courant, qui
tiendrait les troupes par la bride et qui contrarierait ces jeunes pousses dans leur furie littéraire pour les mener vers l’humilité et l’illettrisme des grands chamanes. Précisons que, au vu des
dernières données, nous pouvons d’ores et déjà dire, sans trop nous avancer en projections, que la résistance a commencé.
25-L’âge d’or de l’agonie
Ce n’est pas qu’à l’article de la mort qu’on voit défiler sa vie en bobine de film
accélérée qui pose problème, mais bien de se demander à quoi pouvait bien ressembler le flash d’agonie précédent, celui du grognard, du Hittite ou de homo floresiensis. Alors à quoi ? A de
lentes et lourdes galeries d’images, d’huiles sur toile ou sur panneaux parquetés, à des linéaires branlants de statuaires ou à de tracés/grattés pariétaux ? Allons ! Il y a là une mise
en forme si lente et si ardue dans sa manipulation mentale qu’il y a peu à se demander si en définitive le temps des agonies prélumièriennes ne correspondait pas exactement au tempo et au déroulé
d’un vie, si bien que ou bien cette dernière n’était elle-même qu’une longue agonie ou bien cette notion de flash liminaire pré-mortem n’est que pure création et stimulus dont notre civilisation
occidentale a trop simplement fait l’attendu de ses agonies sans aucun recul critique.
En outre, si l’on anticipe sans peine la teneur de ce que seront les flashs
agoniques des générations post cinématographiques, il est parfaitement envisageable que la lecture dudit flash sera devenue impossible sur le plan rétinien comme sur celui du cerveau, mais nous
savons soit dit en passant qu’il s’agit du même objet, du fait de l’accélération des images et visions différentes dans le même laps d’une seconde, ce qui laisse à penser deux choses :
la première étant que nos descendants n’auront pas le temps de revivre leur vie en agonie ce qui équivaut à rejoindre la non auto-figuration du récit autobiographique humain des premiers
hominidés donc, et c’est là la seconde, on pourra avancer que notre contemporanéité générationnelle aura vécu ce qu’on pourrait appeler un âge d’or de l’agonie cinématographique. En couleur
paraît-il.
24-Décrépitude d’A.J. Cronin
A.J. Cronin est pour les écrivains une sorte de saint martyr, un totem absolu du
devenir posthume, de l’infamie qui guette en renommée le plus lus des raconteurs d’histoires. Car elles ne sont ni laides ni risibles ni fausses ses histoires, elles sont justes mortes. Il y a eu
de cela une quinzaine d’année un mouvement avant-gardiste de jeunes auteurs, notons la prudence toute fallacieuse qui distingue le terme d’auteur et celui d’écrivain comme si ce dernier ne
revenait en définitive qu’à une poignée rentière au terme d’une vie de doute, qui s’étaient mis en tête de rajeunir, rafraichir, pour ne pas dire sauver, au moins un des romans d’A. J. Cronin, à
savoir Étrangers au
paradis, traduction on ne peu plus
exotique, mais nous y reviendrons, de The Native
Doctor,arguant de manière assez empathique que seul le style
de celui-ci posait de nos jours problème et qu’une histoire, ma foi, reste un histoire, surtout si elle est bonne, mue pas des énergies et des tensions positives vantant l’héroïsme sur fond de
dilemme, quoi de plus actuel, en tout cas de plus intemporel.
Nous ne nous étalerons pas sur la faillite de leur entreprise mais simplement sur
les motifs et les ressorts de celle-ci. Il y a un irréductible à chaque production artistique et littéraire sur et contre lequel les meilleures intentions du monde ne pourront jamais rien, malgré
les désossages et déshabillages, savants ou inspirés.
Car c’est moins une question de fondation que de mortier. Entendons-nous
bien ; lorsque l’appareil est structurellement faible, qu’un défaut de matériau ruine la cohésion, il faut se résoudre à la ruine, faire table rase et reconstruire dessus. A.J. Cronin
s’effondre sous les coups de la postérité et il n’y a rien à espérer pour son œuvre qu’une intervention non pas d’écrivains mais de maçons, si tant est qu’une reprise de fondation ou un
rejointement soit encore dans l’ordre du raisonnable vu les coups et la rapidité de production littéraire actuelle.
A. J. Cronin s’est mué en objet plastique, au charme fané d’un mortier
pulvérulent, lui et son œuvre confondus, et à la réflexion ce n’est pas si mal de passer la porte étroite de la postérité en rentrant un peu le ventre.
23 Abattre un éléphant
Etrangement d’abord, les cas ne manquent pas ; Topsy électrocuté devant la caméra de Thomas Edison, Mary pendue en public à une grue en 1916 et tant d’autres qui auront valu la nouvelle, au
symbolisme contestataire très intentionnel, d’Orwell ; Shooting an elephant. En outre, on pourra élargir le champ aux baleines échouées dont il a fallu expérimenter à tâtons les
moyens les plus saugrenus à des fins de destruction de carcasse putride, notons pour mémoire l’exploding whale day que quelques excentriques pointus, dont nous sommes, fêtent le surgissement dans
notre espace dit réel chaque 12 novembre depuis l’ « incident » de 1970, à Florence USA. Si les anecdotes font nombre et si, par cet effet, elles tuent la rareté du fait en ce
qu’il est un phénomène, il faut s’attacher à isoler chaque cas, non pas pour en accroitre mécaniquement le pathos, on peut certes pleurer un éléphant, d’autant plus volontiers et excusablement
qu’il sera accusé en toute injustice de cruauté envers un homme, ignorant en cela qu’il s’agit pour le pachyderme de répondre à celle, plus constante et plus nette de son entourage humain, mais
pour en déterminer la difficulté intrinsèque en tant que problème étendu, minant par avance les trois quarts des stratégies humaines d’évitement, de relégation ou de délégation qui sont notre
lot. On ne tue pas un éléphant sans mettre soi-mêmeà plat son entière humanité, ce qui se joue entre la sagacité, l’acharnement, la créativité et la mise en scène. C’est sur ce dernier point que
la question se révèle la plus vertigineuse : tuer un colosse c’est se résoudre au spectacle, c’est restreindre le champ de ses propres capacités à leur quintessence. Edison ne s’y est pas
trompé. Cela étant posé, le colosse se passe même de crime, car le sien est consumé dès qu’il surpassera par nature un homme. Il est donc presque inspirant de constater que chez l’homme la
barbarie la plus normative est indissociable d’un langage esthétique. Nous y reviendrons bien évidemment, et vous aurez compris soit dit en passant que cette histoire d’éléphant, pour véridique
et historique qu’elle soit, n’est qu’un subterfuge dilatoire avant d’aborder plus frontalement la question de l’holocauste. De même nous a-t-elle permis d’éluder l’analyse en profondeur de la
nouvelle d’Orwell, laquelle est une source d’embarras peu commun que nous tâcherons d’éclaircir avec le cas d’A. J. Cronin.
22-Réhabilitation de Néron
On doit à Elisabeth Taylor la plus éclatante et la plus légitime des
réhabilitations de Néron, grand peuplier. Et une fois n’est pas coutume, il faut bien reconnaitre que l’aphorisme fait foi. A défaut de loi.
21-FFI et moyen terme
N’oublions jamais les timides de la résistance, les pudiques du sabotage, les
pusillanimes du faux-papier. Ces hommes de rien qui, une fois, une seule, presque par inadvertance, ont osé un truc, un bidule incongru, embarrassant pour leur conscience de rien et pourtant
infinitésimal (une nuisance d’insecte, une pensée d’agir !), ces milliers de quidams, pas même des opportunistes mais des hasardés, ceux qui, clairement, un jeudi -ils en frémiront
toute leur vie !- ont fait tomber le vélo qu’un Boche avait laissé contre le mur du coiffeur et qui ont tracé le village plus dru que la courante. Ceux qui, alors qu’ils livraient la
commande de la Kommandantur (pardi !), se sont servi deux fois du saucisson, rien que pour leur gueule, ceux qui ont craché dans le café du Boche, ceux qui ont servi le Boche dans une tasse
à café pas propre, ceux qui ont mal essuyé la tasse à café du Boche après la plonge et ceux qui ont bien pensé le faire en rigolant du sale tour au sale Boche. Oui, qu’on se le dise enfin, qu’on
l’enseigne dans les écoles, ce sont ces péquenauds isolés qui ont formé la véritable armée de l’ombre ; ces ploucs usants pour le moral, un goutte à goutte de connerie humaine, fidèle au
lever de chaque jour, plus corrosive que l’acide, plus asséchante que les heures molles d’occupation où, justement, l’impossible était de s’occuper ! Encore quinze ans sous ce
feu-là et ils seraient tous partis d’eux-mêmes, en courant sans leurs bottes vers leur nid d’aigle, les Boches !
20-Campo di Fiori vs. Fiori di campo
Encore une fois l’objet s’érige en pensée. Penser la mention d’un désodorisant de
collectivité sur une inversion touristique romaine pousse l’esprit au vice versa et au moulinage de roue de hamster en cage. Mais quoi ! Il n’y a pas plus de fleurs au Campo di Fiori que de
fleurs dans la bombe aérosol Fiori di Campo et c’est là un sujet de pensée plus rude et plus âpre que ne le laissait entendre l’accroche, si tant est que nous procédions par le biais de
l’accroche laquelle, soit dit en passant, est le trait de la contemporanéité ; l’accroche de pensée est le chardon de l’instamporanéité.
Il faut également revenir sur l’image du chardon et sur les schémas mentaux de la
pensée champêtre comme marqueurs ou garants de justesse. De là à se demander si la connaissance du monde est faite de pensée ou d’imagerie et de substituts. De là à ce qu’une bombe aérosol
suffise à refleurir Rome…
19-NSA
C’est un peu facile comme subterfuge pour attirer l’attention que d’aller piquer
la curiosité de la plus curieuse des organisations humaines. Ainsi pense-t-on mettre on ne sait quelle oreille sur le qui-vive, déclencher des plans, des écoutes, filatures, poursuites, happer le
destin. Mais c’est une lourde erreur que de laisser croire à l’un des plus puissants services d’espionnage au monde qu’on s’exprime de biais et à couvert, qu’on est un expert en cryptologie sous
couvert de pensées, d’avis et d’opinons des plus anodines, voire vaines, et c’est d’ailleurs là que réside toute la gravité, pour ne pas dire le tragique, d’une telle tentative et, dans ce cas,
il n’y a pas long à décoder.
18-La greffe du poirier
On peut tout se dire avec la greffe du poirier, quand bien même en l’absence de
l’arbre. Le sujet est suffisamment technique, voire ardu, pour que rien de véritablement crédible ne s’y prenne sinon le fait que la greffe du poirier est par essence un viatique, un medium pour
les moments forts d’une vie, à savoir l’annonce de la mort d’un proche ou, mieux, et c’est là faire un usage exact du greffon, pour l’instant notable où un père prendra congé de son fils,
reconnaissant ainsi au poirier ses véritables vertus testamentaires puisqu’il y a, et cela n’a été que trop peu mis en lumière, une parfaite adéquation, nous serions même tenté de dire comme à
défaut : «une parfaite adhérence » suite aux interventions psychanalytiques précédentes si tant est qu’elles le sont, entre le temps qu’il y faut à un père pour dire adieu à son
fils et celui qu’il faudrait pour expliquer formellement la greffe du poirier, si seulement le fils comprenait et si vraiment le père s’écoutait.
Puis-je monsieur emprunter votre texte ?
J’en aurais besoin pour un livre que je me décide d’écrire.
« On peut dater, il y a, mais on se reportera, éviter, objectivement, indiscutable, il est clair, définitivement, par ce que, d’autant plus, parfaitement, c’est d’ailleurs et
seulement là, mais ce n’est pas vous, comme on a trop tendance, sachez, sachez bien. «
17 psychanalyse du bien
On la voit parfaitement allongée devant soi, la figure du bien, on se l’imagine
sans problème et c’est plutôt comme un faux lapsus qu’on a pensé « sous moi » au lieu de « devant », une sorte de dérapage hyper contrôlé, une image freudienne d’Epinal. C’est
parce qu’on a décidé d’entamer la psychanalyse du bien qu’on en enfile la panoplie par les accessoires les plus grossiers et périphériques, le fameux lapsus auquel on n’a rien compris en ce qu’il
est parmi les derniers aboutissants, de ces fioritures perlées qui nécessitent la connaissance la plus aiguë des fondamentaux, mais voilà, ce sont les premiers objets visibles alors on s’y presse
et on s’y vautre lamentablement sans même le savoir.
La psychanalyse du bien, paradoxalement, ne se pense pas dans son corollaire du
mal. C’est une erreur que de vouloir invariablement virer de bord et d’en finir par ces notions de mal absolu etc., certes passionnantes mais hors sujet. Le bien se pense certes pour ce qu’il
n’est pas mais surtout pas par l’inverse, car le bien est un infondé, une mécanique rance toujours en mouvement, alors que le mal a fait ses preuves depuis longtemps, même en
psychanalyse.
La psychanalyse du bien est en réalité une révolution et une
autospection, pour ne pas aller trop loin dans l’invention lexicale. Si l’on admet le glissement opéré au XXe siècle des préoccupations de la doxa chrétienne déclinante vers la
psychanalyse en construction, d’aucuns préfèreraient le terme « chantier » pour des logiques d’école, mais nous n’entrons soit dit en passant dans aucune chicanerie de chapelle, si donc
on admet la translation du bien programmatique du domaine religieux vers celui de la psyche, du moins prenons-nous ce terme volontairement « flottant » et remarquons au passage que
lorsqu’un concept tend à s’échapper en fixité et à trop rapidement prêter le dos à tous les coups adverses, on se prend vite à poétiser, et ce en psychanalyse plus qu’ailleurs, d’où la
fascination presque masturbatoire pour le jeu de mot et l’amphibologie, oui « masturbatoire » étant ouvertement provocateur mais il s’agissait ici d’illustrer un des aspects convenus de
la psychanalyse du bien, le tout étant de surcroit de se demander si l’illustration a définitivement sa part dans l’interprétation psychanalytique, serait-elle du bien, et serait-il important de
placer le bien comme objet.
Psychanalyser le bien, et à travers ce glissement lexical nous ne changeons en
rien du sujet mais nous avons plutôt avancé d’un pas en matière, « matière » à prendre au sens le plus que concret, « compact » pourrait convenir aussi, le domaine
psychanalytique se prêtant plus qu’un autre au corps des mots, voire à leur odeur, donc, psychanalyser le bien c’est marquer la confusion entre l’action et son objet (sans encore parler du
sujet), car il y a une tautologie sans comique, grave, à poser la question de la sorte, d’autant que la notion de question tend à se dévorer elle-même puisqu’on nous dira que l’un et l’autre
terme de la question, n’étant plus du tout disjoint mais montrant justement deux aspects (entre combien d’autres ?) d’un même topos, il ne se pose aucune question exogène sinon celle, très
radicale et un peu vaine, de l’existence pure et simple. On remonte au papillon se rêvant homme ou bien à l’homme se rêvant papillon.
Ainsi le bien psychanalytique, et ce sera là le dernier avatar du chapitre nous
concernant, est ce qu’on pourrait appeler une particule élémentaire du savoir, là encore une image nous dira-t-on mais à tord car ce n’en est plus une, le bien psychanalytique est strictement un
irréductible de la pensée, un objet opaque, une monade orpheline de Dieu qui occupe dans le savoir humain la place à la fois dérisoire et ô combien incomprise du poisson constitutif de son
banc.
Psychanalyser le bien psychanalytique est in fine faire feu du banc de poisson,
aphorisme nous le concédons assez opaque mais nous n’en suçons que la vigueur. Ainsi, et pour reprendre Mersenne et ses nuages, face à la question inouïe banc de poisson, il nous serait bon ou
bien d’avoir à penser à la manière d’un filet pélagique ou d’associer nos stratégies à celles de quelques prédateurs pour lesquels la question de bien et du mal ne se posera
jamais.
16-erratisme juvénile
Il y a des spécificités de langage qu’on cantonne volontairement à un domaine
restreint d’initiés, un jargon de happy few, en l’occurrence zoologistes pointus, mais c’est un tord en ce que l’affection presque pathologique qui atteint les vautours à leur sortie de puberté,
encore faut-il se demander si les notions de puberté et de pathologie sont tout à fait applicables au monde animal, ce qui, en cas de négative, défait ce qui vient à peine de se faire et en cela,
nous suivons bien plus que notre pente mais un mouvement supérieur, est-ce l’instinct ?, là est la véritable question soit dit en passant, un affect commun aux espèces du vivant, lesquelles
ne manquent jamais de s’égarer à peine le premier coup d’aile battu et dérivent au hasard du courant, du moins est-ce là un trait qu’on qualifiera d’immaturité, d’où l’aspect strictement juvénile
de l’erratisme, du moins chez les vautours.
Se conformer au mot et conformer quiconque au mot, c’est bien la tare qui pèse sur
notre espèce. Le qualifiant est a priori disqualifiant pour son objet et rempart pour son sujet, quel que soit son âge, vous l’aurez relevé.
15-Higgs en rickshaw
Considérant les encombrements sur le grand axe longeant la voie ferrée à Vârânasî,
la foule des avertisseurs donnant de la voix et un taxi quelconque tentant un passage à contresens par une trouée du parapet central, vite suivi par les plus opportunistes, à savoir tout le
monde, on en conclut vite qu’en Inde, chaque initiative singulière est une brèche collective, chaque particule élémentaire n’existe que dans un mouvement de flux, de frôlement et d’évitement pour
les plus vives ou dans le blocage et l’inertie pour les plus lentes. La ville dans son brassage originel génère la matière dès que, à l’improviste, quelques libertés s’engagent et font masse. A
Vârânasî, il y a bien longtemps qu’il circule en rickshaw le boson de Higgs.
14-Sous le régime de l’objet
La pop philosophie cultive à l’égard des
miettes un snobisme démagogique qui, loin d’aboutir à des concepts philosophiques pertinents, révèle par sa fascination de l’objet mu en objet de pensée, sans autre terme ou aboutissement, son
impuissance fondatrice et pourtant formatrice, en ce qu’elle engendre bel et bien des formes, au sens plasticien du terme. Notons qu’il faudrait en préambule reposer les termes de ce qu’est la
pop philosophie mais la pensée moderne est ainsi faite qu’il faille constamment terrasser le sol où elle posera le plus inavancé de ses pas, c’est comme être à la fois et dans le même moment
condamné (notons l’aspect moral) à œuvrer sur sa propre route en qualité de terrassier et de pilote de formule 1, le rouleau et le pneu à confusion.
Non, la pop philosophie demeure un linéaire de
bizarreries plus ou moins réussies, des stimuli en rang d’oignon, une collection diachronique de porteclés.
Ce monde est gangréné par deux plaies
corrélatives : l’à-peu-près et la pédagogie.
13-Naissance d’un abreuvoir
Pourquoi faudrait-il forcément s’attendrir de
la naissance d’un abreuvoir, non pas d’en constater l’immédiate caducité comme on le ferait du clone d’une espèce éteinte, un dodo ou bien un grizzly mexicain, mais d’arrêter toutes nos activités
au temps qu’il faut à la pluie, à l’eau, au vent ou au sable pour abraser, ronger, user, manger et creuser la pierre, au mieux la terre, à tel point que, imperceptiblement d’abord puis de manière
finalement indiscutable, et c’est, soit dit en passant, cette décision-là de la chose advenue qui pose le véritable problème, on est le témoin, vieilli et sans doute bien fatigué, de la naissance
d’un abreuvoir, du moins de sa possibilité, car encore faut-il qu’il pleuve, qu’une bête, qu’une soif, etc., jusqu’à ce que la question initiale ne se pose plus ?
12-Rupture de la chaine
alimentaire
L’abord d’une question comme celle de la
rupture de la chaîne alimentaire n’est pas aisé. D’ailleurs, il faut reconnaitre que d’emblée la question s’épuise à savoir si le terme de rupture doit s’envisager au singulier ou au
pluriel ce qui augure, à peine aligne-t-on trois lignes, des développements de prolégomènes interminables, lesquels avant toute chose fatigue le sujet et l’épuise au sens très concret du terme.
C’est pourquoi, vous comprendrez tout aussi aisément qu’il y a des questions qui ne se posent même pas, car il en va de même que le compte au-delà du fastidieux des feuilles d’un arbre, des
stridules d’une coquille d’escargot, du détail des cheveux de votre crâne dont la lisière, soit dit en passant, soulève en cascade bien d’autres débats de taxinomie puisqu’un cheveu meurt
toujours en un poil, regardez seulement le cou de certains mâles, et que la conduction du sens forme non plus un chaine de questions à résoudre et de connaissances à établir mais bien un réseau
algorithmique que vous savez à présent poreux et à partir duquel, d’ellipse en ellipse, nous pouvons embrasser d’un regard et en une seule page la globalité du vivant, du réel et de la pensée
humaine. En définitive, la rupture de la chaîne alimentaire n’entre en question qu’à un stade très reculé, de là vient que sa valeur intrinsèque est rendue à l’esprit sur un mode extrêmement
dégradé, minime, mineur, voire tout autant son attrait.
11-Presse occulte
Il existe pour chaque organisme, caisse,
syndicat, assurance, mutuelle, corps de métier ou d’état, bureau de certification, chambre, ordre, association quantité de revues et publications, financées la plupart du temps et en toute
méconnaissance par les adhérents, cotisants ou membres, et dont la conception, l’impression et la publication échappe à toute conscience desdits contributeurs financiers, patrons de presse
distraits, involontaires, hors jeu.
Ces revues parviennent sur les bureaux, dans
les casiers, les boites, elles sont plastifiées, majoritairement glacées et en couleur, fruits d’une maquette assez somptuaire et elles terminent invariablement au feu, au barbecue ou dans la
boite de tri sélectif. Ainsi va le plus important, le plus colossal et le plus puissant organe de presse occulte de l’Occident.
C’est comme si des millions de voix avortaient
de conserve dans un silence effrayant. Ce sont des voix d’archives nées et mortes comme telles, des pensums d’archéologues qui tardent à s’y mettre mais, dans la mesure où nous avons pris
connaissance de l’intégralité de ces publications, nous maintenons qu’il y a nécessité impérieuse à ce que celles-ci demeurent occultes, classées, perdues ou détruites.
Il y aurait grand à gagner de ne jamais révéler au public leur contenu car une seule voix sans portée ne trouble pas le brouhaha du monde mais ces quelques millions auraient des effets si
néfastes que, contre toute logique et habitude, nous nous abstiendrons ici d’en signaler explicitement les conséquences tragiques.
10-L’algorithme poreux
Il est temps d’anticiper un peu, non pas de
céder ici à la fantaisie ou à toute autre occupation stérile, mais bien d’ouvrir un champ des possibles, aussi large et, disons-le, aussi brutal dans sa réception et dans ses répercutions que n’a
pu l’être dans l’antiquité l’image de la chute des corps en courbe avancée par Lucrèce et dont la vérité pure ne cesse de trouver ses incarnations depuis des millénaires. Certes, le commun
des mortels ne maitrise pas encore assez la notion d’algorithme en tant que chaine d’ordres et de bifurcations entre les voies du possible efficient et les voies bouchées dont la trace cependant
importe tout autant, ce qui n’est en définitive qu’un jeu de plomberie appliqué au calcul ou plutôt, rétablissons l’ordre des concepts, un jeu de calcul que la plomberie applique pleinement, même
s’il demeure étonnant dans l’histoire humaine que les applications les plus rudimentaires précèdent toujours leur principe abstrait, que souvent les penseurs mettent des siècles à élaborer, alors
que leur matérialisation physique coule de source et s’éprouve dans la moindre salle de bain, encore faut-il, soit dit en passant, avoir été colonisé en son temps par le génie romain. Il n’y donc
virtuellement pas meilleur programmateur d’algorithmes qu’un plombier chauffagiste en ce qu’il maitrise au quotidien la notion de conduction qui n’est rien d’autre que le cœur du sujet. Comment
donc ce qui est virtuellement dans l’ordre de l’envisageable se fasse-t-il toujours voler la vedette par le principe de réalité qui lui préexiste sans le susciter pour autant ? Ce sera
d’ailleurs plus loin notre objet d’étude et de résolution.
Ainsi, ces quelques préliminaires posés, il
s’agit maintenant de faire faire à tous ces messieurs programmateurs et chauffagistes un bond en avant spectaculaire dont vous peinerez longtemps à entrevoir les développements et surtout les
applications dans tous les domaines de la science, du savoir et de la vie quotidienne. C’est le concept d’algorithme poreux qui, si les intéressés prennent la peine de s’y pencher un peu, vous
fera à l’avenir regarder vos fuites de tuyauterie d’un tout autre œil !
9-Le stand-by comme hold-up
mémoriel
Le fait est connu, en 1925 la firme Coca Cola
éditait un porteclé publicitaire en métal marquant à l’avers une surface bosselée assez neutre et au revers duquel on pouvait lire frappé dans la masse : « Drink Coca Cola in bottles, 5
C. », le tout prenant la forme d’une svastika, une croix gammée. L’objet, bien que relativement rare, n’est pas si difficile à acquérir et ne semble pas poser plus de problème que ça aux
éventuels collectionneurs, si tant est, soit dit en passant, que collectionner des porteclés soit le marqueur d’une activité sociale parfaitement saine. Il faut dire qu’avant l’heure nazie, la
babiole au chiffre d’un porte bonheur amérindien passait inaperçue, de même qu’aujourd’hui c’est à peine si elle soulèverait un frisson à qui tombera sur cette rareté. Il semble donc inutile de
s’étendre sur la possible incongruité d’un tel objet presque soixante-dix ans après la chute du nazisme germanique et de céder à une trop facile superposition historique. Certes, il a bien été
relevé sur un site d’enchères en ligne qu’un exemplaire dudit porteclé « svastika » se soit vendu à près de deux-cents dollars mais il semble établi que son cours actuel se stabilise
autour des trente. On en conclut sans peine que ce coup d’éclat à la hausse relève du même frisson évoqué précédemment et ne vaut pas loi. Si bien qu’il n’y a strictement rien à dire sur le
porteclé svastika 1925 de la firme Coca Cola. Pour l’instant.
8-Le X et la rupture
épistémologique
Entendons nous bien sur le X au sujet duquel
tant de sottises ont été avancées sous le coup de l’excitation ou du petit effet garanti qu’un tel sujet offre en société. Le X demeure un objet de pensée sérieux en ce qu’il est l’ultime recours
de la mondanité lorsque le lien s’épuise ou que les points d’accroches se sont perdus. En cela, nous pouvons rejoindre Bachelard dans sa qualification du X comme rupture épistémologique. Qu’on
s’entende bien, nous attirons ici l’attention sur le fait que Bachelard nous rejoint dans la qualification du sujet et non dans son choix, car il nous semble peu probable au vu de nos
connaissances que Bachelard ait traité en tant que tel la question du X, qui plus est du point de vue de la rupture épistémologique, ce qui est un tord vous l’admettrez, mais on ne peut pas tout
reprocher non plus à Bachelard.
Nous nous rejoignons donc stricto sensu sur cet
emprunt conceptuel, sans autorisation soit dit en passant, mais le concept appartient-il seulement à son inventeur et ne lui préexistait-il pas d’évidence ? Non, raisonnablement, le X n’est
pas l’affaire de Bachelard, du moins en tant qu’objet d’étude, artefact, sachant qu’il n’y a pas loin à supposer que le X en tant que tel ait pu à un moment ou un autre susciter pour Bachelard un
intérêt personnel, sans doute sans aucune incidence sur sa pensée mais pense-t-on si librement sans le X, du moins dans son refoulement qu’on pense hermétique ? Le concept de rupture
épistémologique sied si bien à l’artefact X et chacun sait ce qu’il en advient de l’artefact une fois qu’on y a mis les mains etc. …
Et c’est là sans doute que nous nous départons
de la pensée de Bachelard eu égard à la faiblesse de ses présupposés car, en taisant la part du X dans sa propre pensée, Bachelard a ni plus ni moins grevé son édifice d’un hiatus fondamental,
pour ne pas dire d’un trou.
7-Poujade prêt-à-porter
Poujade, le candidat Pierre Poujade, adepte du bien nommé
poujadisme, si tant est qu’il soit l’auteur et de la doctrine et de sa dénomination, outre l’UDCA, faisait distribuer des tracts qui avaient toutes les caractéristiques d’une étiquette de
prêt-à-porter, à savoir, des petits carton gris marron verso, couverts au recto d’un pelliculage or ou vermeil -mais est-ce l’âge ?- frappé en impression noire du portrait dudit Poujade,
adjoint d’un petit commentaire ou slogan vif comme on les faisait à l’époque, bref, un belle étiquette à vêtements, digne du papetier qu’il était.
Cette singularité n’a pas permis d’élucider pleinement si Poujade
est l’instigateur in persona de sa doctrine, laquelle est d’autant plus imparable qu’elle procède d’une mécanique mentale, que nous ne nous permettrons pas ici d’appeler « pensée », on
ne peut plus simple du : « moi aussi » ou, plus précisément, du « puisque moi, je ne vais pas aussi » ou encore du « moi c’est déjà fait » (entendre
« payé » plus systématiquement).
Bref, la doctrine se perd un peu en slogans, ce qui est soit un
effet de mémoire nous concernant ou alors, plus grave dans le cas particulier de Pierre Poujade et plus heureux pour l’humanité dans son ensemble, d’un vrai défaut de doctrine ici enfin mis au
jour. Il nous faudrait à cette fin de clarté remettre la main sur cette étiquette de veston car, selon toute apparence, Poujade n’a jamais eu la trempe de penser et de formaliser dans le même
temps la doctrine qu’il était en train de proférer aux tribunes, ni même, il faut bien le dire a posteriori, de faire plus d’une chose à la fois.
6-La montagne de Banyuls-sur-mer ou pas
Ce n’est pas grand-chose à peindre la montagne de Banyuls-sur-mer.
Il faudrait, quoi, à un peintre, à un peintre très moyen même, un de ceux-là qui s’accrochent aux rochers à la suite de noms plus illustres comme si la proximité géographique valait le talent par
analogie, comme si l’air qu’on y respire gardait en germe ce qui de toute façon n’est ni volatile ni transmissible. Alors quoi ! La montagne de Banyuls, même pour ceux-là, ce n’est pas
grand-chose à peindre ! Attention, personne ici ne dit que ça n’a pas grand intérêt ni même aucun intérêt, non.
D’ailleurs, il faudra bien un jour trancher de savoir si Banyuls
et sa montagne ont un intérêt quelconque mais pour l’heure nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer, ces débats ne sont pas de notre ressort et nous ajoutons que nous ne leur trouvons
sincèrement aucun intérêt. Ce n’est pas ici le sujet et il ne s’agit pas de tout mélanger sous prétexte de vouloir élucider tout à la fois, le monde et ses mystères, rien que cela et même si,
soit dit en passant, cela ne nous pose plus aucun problème.
5-Collodi et l’inversion générative
Ce qui rend le chef-d’œuvre de Collodi insupportable avec les
années, c’est son insistance plus que pédagogique mais bien sadique à rappeler aux hommes la part toute mineure et pourtant ô combien laborieuse qu’ils prennent dans la conception et la
reproduction. Gepetto trime, s’acharne et fignole son pantin puis celui-ci lui échappe et le pauvre bougre se perd à sa poursuite, tandis qu’il ne faut à la fée qu’un peu de rien, un
pas-grand-chose, un vite-fait lumineux, bref, juste son naturel pour que le garçon naisse pleinement à la vie. Cette insistance à seriner l’impuissance fondamentale des hommes trahit le fond
idéologique de l’auteur, lequel nous semble des plus nauséabonds. Le créationnisme manifeste dans le chef-d’œuvre de Collodi nie et dénigre ouvertement la part élaboratrice et marxiste de ce
qu’est un enfant moderne. Il y a du rabot et du copeau dans un enfant, un petit artisanat modeste et industrieux qui, loin de s’abstraire de l’immanence maternelle, notez que nous n’avons pas
employé ici le terme «s’affranchir», n’en demeure pas moins la part fondatrice, non en ce qu’elle précède, comme tente de nous le faire croire Collodi, mais en ce qu’elle est l’étape fondatrice
et somme toute finale de l’enfance : un devenir en bois, une pièce d’atelier. Nous ne naissons pas sans nos fils mais bien empêtrés dedans.
Il faudrait vraiment se demander quelle fut la part subversive ou
réactionnaire de l’auteur dans cette inversion très dommageable des temps de la génération, d’autant que, si l’on ajoute à cela que la bonne fée intervient en définitive à deux reprises, nous
laissant trop facilement croire à notre parfaite incompréhension du mythe, car c’en est un, nous pouvons légitimement nous sentir désorientés dans nos repères. C’est pourquoi, plutôt que de se
laisser happer par l’histoire telle que contée par l’auteur, comme tant de pauvres hommes par autant de baleines, acte de pure capitulation régressive face au féminin soit dit en passant, mieux
vaudrait dorénavant adjoindre aux prochaines éditions, même et surtout infantiles, ce modeste mais précieux avertissement, dans le but de ne pas laisser instiller trop d’erreurs sous prétexte de
sympathie.
Bien entendu, il n’empêchera en rien de rendre hommage à la
prémonition psychanalytique de Collodi sachant que, en vieillissant, Pinocchio deviendra tout aussi chauve que son « créateur », et que c’est un moindre mal.
4-Le long sifflement des électriciens
Il faudra un jour recenser les textes qui mentionnent aussi
explicitement qu’ici le long sifflement des électriciens. Lorsqu’il s’agit de démêler laquelle des gaines de plastique bleu ou gris sera la bonne parmi les écheveaux assez complexes que les
électriciens s’ingénient à tirer, et on peut d’ailleurs s’étonner que la corporation cultive unanimement ce travers du fouillis de gaines indémêlables, de là à croire qu’il y a a minima une
parenté et, pour notre part, nous irions jusqu’à soutenir la thèse d’une frustration mimétique éprouvée par l’ensemble des électriciens à l’égard les coiffeurs pour dame, bien que jusque lors
aucun cas avéré d’une pratique similaire ou approchant chez les artisans capillaires ne nous soit parvenu, ce qui, soit dit en passant, serait du meilleur comique, voire d’un effet poétique
certain, oui, bref, on n’a jamais vu un coiffeur pour dame souffler de toutes ses forces dans la pointe des cheveux d’une cliente pour les entendre siffler à l’autre bout. Et en cela, ce livre
marque un jalon significatif dans l’histoire des électriciens.
3-Dernier argument en faveur de Louis XVI
Guillotiner Louis XVI en ce mois de janvier
1793, ce n’était pas exactement guillotiner Dieu ni même Dieu tout comme ni même son fils, on le connait, ni même un de ses petit-fils, on le saurait, mais presque un cousin, un neveu de Dieu, ce
grand népotiste. Il ne fallait pas guillotiner Louis XVI car sa tête est tombée, a roulé au panier et, avec elle, comme qui dirait dans le même mouvement d’entrainement, la tête de Dieu avec la
nôtre, rien que ça. Parce qu’il faut bien considérer qu’on s’est retrouvé plus nus et plus misérables qu’avant d’avoir dorénavant à parler à Dieu en face, directement, plutôt qu’à son pion
couronné lequel, soit dit en passant, ne nous prêtait pas plus l’oreille que lui. Dès lors que Louis XVI ne faisait plus écran, c’était la grille dorée qui nous séparait de Dieu qui avait sauté
sous le biseau de la lame, libérée par cette haine rentrée bien connue, plus politique que populaire. Et maintenant, nous voilà happé, nous voilà mal face à lui et lui seul. Personne, non,
personne sur des milliers d’années, depuis Adam sans doute, n’avait songé à se présenter aussi nu devant Dieu et surtout, personne n’en voulait ! Alors non ! On avait mieux à faire que
de guillotiner Louis XVI !
Connaissance
du
monde
2-La fatigue de Mickey
On peut dater la première occurrence de la
fatigue de Mickey dans l’année 1978, dans un petit fascicule publié en version française chez Fernand Nathan au titre de : « Les métiers de Mickey », sous-titre : « des
milliers de combinaisons amusantes ». Il a été longtemps question d’éditions allemandes ou turques légèrement antérieures mais on se reportera aux études et à l’imposante littérature
critique pour écarter ces marronniers de colloques et éviter de redonner vie à ces débats aujourd’hui clos. Objectivement, Mickey y apparait plus qu’à l’ordinaire absent, son regard est
« dévié », absolument porté sur autre chose, et là c’est indiscutable.
N’avez-vous jamais remarqué que Mickey ne vous
regarde jamais en face, blanc de l’œil pour blanc de l’œil ? S’il semble tirer son regard dans votre direction, ce n’est pas vous qu’il cherche ou vos yeux qu’il croise, ce n’est d’ailleurs
jamais vous, plus vous en fait, soyons rigoureux. C’est qu’avec l’alphabétisation s’opère un phénomène aujourd’hui bien compris : Mickey disparait de votre champ de vision et se neutralise,
assez discrètement d’abord, mais il est clair que dans le fascicule de 1978, le masque tombe et ce définitivement. Mickey est fatigué, voilà, il n’est pas là.
Pourquoi ? Par ce que Mickey est déjà un
alphabet à lui seul et que votre regard d’athlète déchiffreur plaque du signe sur du signe ; Mickey s’annule d’autant plus naturellement qu’il est devenu inutile. A contrario, voyez comme le
regard de Mickey saisit l’expression des plus petits, pas encore assez lettrés. Mickey propose un proto-alphabet parfaitement suffisant et efficient aux premiers sens du monde que vous vous
construisez, c’est d’ailleurs là et seulement là que vous vous êtes réellement senti regardé par lui. Puis vous avez grandi, mais ce n’est pas vous qui vous en êtes détourné, comme on a trop
tendance à le penser, ceci est une erreur en cumul de tant d’autres. Une fois pour toutes, sachez bien que c’est Mickey qui s’est fatigué de vous.