1299. Calages
C’était calage machine le 31 mars, chez Floch. Nous avons mis 2 heures et demie à caler chacune des gouttes de la couverture, chaque goutte se rebellant contre l’organisation rationnelle de la pluie conçue par notre admirable Directrice Artistique, Anne Milet, membre de notre comité de lecture (organiser le déluge à tout prix).
Ils sont gentils, chez Floch. J’ai traversé la campagne sarthoise et le bocage mayennais pour aller à leur rencontre. C’est joli le bocage, un bocal en plus vert, un local plus ouvert. J’aime bien aller à la rencontre des imprimeurs, le son des machines, l’odeur des colles et des couleurs, la course des rouleaux de papier sur les rotos. C’est à une heure de route. On voisine. Il nous aura aussi fallu nous caler, eux et nous. C’est pas simple, un calage humain. C’est subtil. La moindre variation et l’équilibre menace de rompre. On marche parfois sur un fil tendu entre deux malentendus.
Il faut dire que je milite pour le maintien de l’impression en France, ça me rend susceptible, exigeant, râleur (ça me rajeunit aussi de gonfler mes poumons et de chercher des poux dans la cervelle d’autrui), à un moment où c’est la débandade chez les collègues militants exploitant la main-d’œuvre des anciens pays socialistes. Il a bon dos le socialisme, et le post-socialisme me paraît aussi rond que le couac d’un canard ! Sans parler des tendances plus-socialiste-tu-meurs de nos amis les petits éditeurs gauchissant le gauchisme. On en aura encore pour plusieurs décennies d’exploitation renouvelable à l’infini quand on les suit ou les écoute (encore qu’ils ne disent pas grand-chose sur leurs choix, nos amis les petits éditeurs subventionnés et délocalisant – lisant en toute indépendance).
J’aime beaucoup ce passage d’un mémo de Blanqui, que j’ai lu dans une édition elle encore éditée à Bakou (c’est long, l’infini). Le revoici :
« Les riches font travailler les pauvres. » À peu près, en effet, comme les planteurs font travailler les nègres, mais avec un peu plus d’indifférence pour la vie humaine. Car l’ouvrier n’est pas un capital à ménager comme l’esclave ; sa mort n’est pas une perte ; il y a toujours concurrence pour le remplacer. Le salaire, quoique suffisant à peine pour empêcher de mourir, a la vertu de faire pulluler la chair exploitée ; il perpétue la lignée des pauvres pour le service des riches, continuant ainsi, de génération en génération, ce double héritage parallèle d’opulence et de misère, de jouissances et de douleurs, qui constitue les éléments de notre société.
Auguste Blanqui, Qui fait la soupe doit la manger, Éditions D’ores et déjà, p. 21
Demain, je vais chercher les livres. Cinq cent cinquante. C’est à côté, je vous l’ai dit. Je suis curieux du pelliculage Soft touch, dit aussi « Peau de pêche » que nous avons choisi, une fantaisie mûrement pensée. Il prête au livre un toucher tendrement velouté et ne laisse aucune trace de doigts sur la couverture, comme neuf à chaque lecture. Ça donne envie de lire, mais aussi de relire. Le livre devient ainsi une sorte de doudou doux, doux à la joue, le lecteur peut en même temps sucer son pouce et s’endormir en se frottant le nez. Au matin, même présence rassurante du livre à ses côtés. Très-douce la vie de la littérature pour lecteur pacifié – pas s’y fier ! (À toi de choisir ta lecture.)
Est-elle pas belle Doudou la vie que vous préparent nos éditions ?
(Mais quand tu ouvres le livre, c’est dans la gueule que tu prends la décharge électrique.)
Tiens-le (-toi-le) pour dit.