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Restons critiques, mais enthousiastes. (85)
Le Guide pratique du féminisme divinatoire, accompagné de son DVD de 30’, est un objet transitoire : espace d’incertitude et moment vers –
L’humour et le militantisme formant un couple souvent mal assorti, je me suis aventuré dans le livre de Camille Ducellier avec la perplexité joyeuse du mandrill devant un suppositoire, décidé aussi à ne pas me condamner à l’hétérosexualité dominicale du lecteur de roman.
Il existe aujourd’hui des backrooms littéraires – Thank gode !
Ce guide pratique, d’autant plus multigenre que nous sommes multiprise, combine la double approche militante et dissidente qui lui donne sa vitalité, son humour élégant, sa force de frappe. La composition transgenre du livre fait aussi et surtout place au fil discontinu d’une narration dans laquelle un vous et un je trans-identitaires interpellent les normes et les représentations sociales :
« Elle, enfin, Il, est toujours mon amante, Maman, mais je ne dirais pas que je suis hétéro pour autant (…) je suis toujours lesbienne politique en un sens, mais disons que j’ai un copain transboy, enfin, un amoureux avec qui je vis et dont j’admire le clitoris (…) » (42)
Ainsi comprise, la « fluidité des genres » (43) suppose de laisser tomber d’urgence le pendule normatif pour accéder à une désorientation sexuelle à même de briser les représentations catégorielles dont se nourrit la tristesse sociale. Le manifeste du féminisme divinatoire, qui ouvre le livre, invite à conjuguer le « verbe et le rire » et à opposer à la pensée straight, la marche tordue.
« Hier soir, vous avez trouvé au fond d’un placard, une lesbienne non déclarée et quadragénaire qui brille la nuit quand on dit oui. Vous ne vous souciez pas de l’écart d’âge et de son hétérosexualité de grande surface… » (25)
Ce fil narratif rapporté à la structure d’un manifeste parodique constitue la réussite du livre de Camille Ducellier, proposant au lecteur de se réapproprier en douze étapes la dimension politique de la sexuation. Le livre appelle tranquillement à l’avènement d’une société où la sorcière tempérerait de son sourire étrange la logique gestionnaire de notre époque. L’y tremperait, qui sait –
Il est de fait question de cet étrange sourire entre les cuisses de Thérèse Clerc, dans la troisième séquence du film, Sorcières mes sœurs, qui accompagne le livre. Frictionné d’un doigt déterminé de vieille femme, le clitoris quasi géant que nous offre Camille Ducellier dans un plan serré d’une lenteur choisie affirme et atteste, entre labelles et poils chenus, la présence des forces rauques de la vie, d’ordinaire invisibles : « Les vieilles femmes qui font l’amour, qui baisent, qui se masturbent, qui sont heureuses dans leur corps, comment peuvent-elles oser ? » précise en voix off Thérèse Clerc. Camille Ducellier liquide en un plan le scandale factice du fameux tableau de Courbet, auquel elle donne le doigt vibrant qui lui manquait.
J’ai trouvé dans ce livre des moments d’écriture qui m’ont transporté dans l’espace où se construit, au-delà du livre, la relation féconde au langage, que j’appelle littérature. J’ai pour cette raison été gêné par les pages désertiques où, s’appuyant sur une écriture neutre, le livre devient véhiculaire au lieu de débrider la joie à laquelle il appelle par ailleurs le lecteur (la séquence bordélique des Urban porn en donne l’illustration cinématographique).
J’aimerais beaucoup que la collection extraction, suivant mes conseils avisés de lecteur tout-puissant, privilégie le geste unique, l’hapax furieux, l’expérimentation perdue d’avance sur le dispositif, la théorie ou l’analyse des modes de création. Il me semble d’ailleurs difficile de classer Open space, Il manque une pièce et Un mobile, livres lissés, dans l’une ou l’autre de ces catégories.
Part & d’Anne Kawala est à mes yeux le moment représentatif de ce désir d’expérimentation qui rend précieuse, chez joca seria, la collection extraction – au risque indispensable de frapper de confusion le discours critique tout en condamnant l’œuvre au silence, c’est-à-dire : aux lecteurs.
Un jour peut-être, vous arriverez à n’en pas croire vos oreilles, hé oui il y a des femmes qui aime les queues, s’il faut le dire comme ça, disons-le, même si c’est pas trop
mon vocabulaire, et qui aiment être prises mais pas pour des connes, ou alors prises, mais bien prises, ou alors après, tu es la conne, mais pas pendant, parce que sinon, quand même, ou alors
pendant c’est autre chose, enfin, tu vois, je vois, ou j’imagine que tu vois, quelque chose comme ça, oui voila, donc, un homme, un chevalier, un homme, quoi, un tchak-tchak profond,
sensuel-brulant, et je nous développe pas, le dessous, ou le devant du côté des baisers dont tu n’as plus trace, puisque on ne sait plus où sont passés les baisers, alors baiser, et un autre,
avec sa posture d’autorité, non, celui-là, ne t’excites pas, tu peux admirer, être excitée, mais l’injustice sociale, non, ça ne te passera jamais, tu es sujette aux tremblements orientaux, aux
chevaliers, de pacotille peut-être, mais toi tu les prends pour des chevaliers, et ça les arrange vois-tu, ou contre le mur, mais en douceur, ou alors je ne peux plus resister, et on y va d’un
coup, nous y allons, mais, ce n’est pas entre les femmes et les hommes le problème, c’est entre les pauvres et les riches, qui dans un lit se mélange, je veux bien le croire, on baise pas
toujours avec un riche, effectivement, mes amants, va savoir pourquoi, sont toujours d’extrême-gauche, ou merveilleux, sauf la fois du 31 décembre où celui là, mais il ne me disait rien, et
n’étant pas une pute, mais je ne suis pas contre, quitte à choisir, parce qu’une pute nous amenerait à n’en pas comprendre le sens ou avoir perdu la question, puisque, nous l’avons deja dit,
s…. c’est aimer beaucoup s…., et alors nous entrons dans le registre de l’art, oui précisement, donc tu shake ton mixeur à intendances, j’y mets ma peau et te donne rendez-vous à l’été sous
le pommier en fleurs de la rue des lilas sauvages, tu mélanges, et tu oscilles ou tangue le tcha-tcha, selon tes possibles, vers la subtilité, ou la possibilité d’autre chose encore, ctadire, tu
imagines, je te promets, une femme, ou alors faut-il le crier, une femme, oui, oui, donc, elle dit non, oui, non, oui, ou alors c’est beaucoup plus sauvage, genre animale, mais, en vrai, parce
que l’écran me frigorifie le camélia, mais tout ça est intime, non ?