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De nombreux écrivains pratiquent l’escroquerie à la transparence en toute impunité. La critique laisse faire.
Leur prose est claire, limpide, cristalline, fluide, aqueuse. On s’y retrouve comme dans un bocal.
Le travail de la forme se limite au prélèvement d’instants. Le monde littéraire n’est plus langage, il est cliché, copie
recadrée de la réalité. La ponctuation saine, le pas précipité des phrases serviles, les mots en règle avec la loi s’étalent en leur album, avec accès direct à un miroir sans écriture :
photos du monde ou ce qu’ils en perçoivent.
C’est confondre littérature et contemplation numérique. Un couché de soleil n’est pas un matériau littéraire.
Tes états d’âme m’ennuient, poète. Monstre-moi plutôt tes désordres grammaticaux, tes paresses syntaxiques, le pouls de ton phrasé, et garde ta beauté intérieure pour tes entrailles et les repas
de famille.
L’auteur :
– Au fond du jardin, une bande d’herbe est délimitée par la lumière du couchant. Je viens de l’apercevoir de ma fenêtre ce
rectangle orange vif, brillant, avenant. On dirait une couverture en laine, un hamac, quelque chose de tendre et de confortable. On dirait un peu de repos, un répit, un sourire. On dirait des
glaçons dans un verre de sirop. On dirait le printemps. Une peau. On dirait une question d’enfant. Le temps d’écrire cela, la bande de lumière a disparu. L’herbe frissonne. Il fait nuit.
Les fanes enthousiastes :
– Et oui, il faut essayer cet auteur, car si on l’aime c’est du bonheur de lecture assuré !!
– Des textes qui s’étirent sur quatre saisons, qui parlent de la pluie, du soleil, des feuilles mortes, de la
neige qui craque. De la nuit et de l’aube. De l’écriture comme une source pour vivre.
– Je suis contente de voir que ce livre suit sa route et séduit ceux qui veulent bien se laisser toucher par sa
petite musique de simplicité.
Le petit éditeur, conciliant:
Comment en effet intégrer à l’écriture littéraire cette morale bienheureuse des écrivains de la réconciliation sans faire de la
page imprimée une vessie pleine ?
Le printemps est une peau de hamac,
confortable et tendre, quelque chose du repos sous le brillant de nuit. On dirait un enfant au sourire de laine sans répit et avenant. Une bande d’herbe couchée sous sa couverture de sirop. Des
glaçons orange et vifs. Le temps d’écrire cela, le jardin a fait disparaître la lumière sous une question sans fond.