Divers
Nous sommes condamnés à ne pas nous entendre et la critique est un dialogue de sourds.
Un livre est moins un miroir qu’un écran de projection. De là nos accès d’humeur, risibles et nécessaires, à propos de livres anodins, inutiles de notre aveu même,
au nom du goût, de la langue, de la culture, du monde à préserver. Notre besoin d’expansion est inconsolable, et ce nez de travers est une insulte aux nez droits.
Je ne m’explique pas autrement nos querelles de rentrée et, pour ma part, l’érosion accélérée de livres que je croyais immuables, l’assèchement des fleuves qui
naguère m’emportaient.
(Les succès de la littérature populaire sont de toutes les époques, qu’elle s’incarne dans Emmanuel Carrère ou Jean Rolin. On ne va pas se frapper pour si peu. Sauf
à aimer ça.)
Le monolithe préfère la planche de surf, la vague le noyé.
Il découvrit un homme couché en travers de la page. Hésita.
– J’ai acquis en lisant une connaissance approfondie de la typographie et du grammage des papiers, conclut le petit éditeur.
Puis il ouvrit un livre et s’y coucha.
Je vous salue jamais
Dernières Salutations ce soir
et celles sans fin que je t’adresse
je vous salue hors de question
divinement empressé de te le donner.
Les violettes évanouies s’effondrent
sous l’étroit enlacement bien légitime
de la tiédeur du temps
resté un an sans les voir.
Je vous salue esprit de suite des fleurs
pour votre retour régulier
je vous salue suite du non retour
vous avez suivi à la lettre les morts.
Je vous salue étroit enlacement des ténèbres
admettant la légitimité
elles ne t’ont pas vu d’avant ta naissance.
Je vous salue peur de s’ouvrir de tes yeux
je vous salue promesse pleine de grâce de l’inespéré
que ton regard s’osera à nouveau un jour
se rouvrir sur le mien terrifié.
Je vous salue peur de s’ouvrir de tes yeux
– le « laissez-passer » de la mémoire pour aller
les voir quand elle veut
aube d’un jour perdu.
Quand à toi monde
qui acceptes de vivre
tant que la fortune aura besoin de toi
pour que les maux soient fécondés
de ta résistance fertile
qui t’avilis à vivre
pour que te dise tout au plus un bonsoir
lors de sa traversée
une lune ventriloque toute pleine
Que te dire
je te salue aussi.
Kiki Dimoula
(Du Peu du monde et autres poèmes, La Différence, Collection Orphée, 1995, traduction de Martine Plateau-Zygounas. Il existe aussi en poche un volume reprenant la traduction parue aux
Cahiers grecs / Desmos, autour de l’an 2000 : Le Peu de monde suivi de Je te salue jamais, traduit par Michel Volkovitch, Préface de Nikos Dimou, Collection
Poésie/Gallimard, 2010.)
À NOTER, le commentaire élégant et soigné du livre de Christophe Esnault, Isabelle, à m’en disloquer sur le blog DE LITTERIS
Je vois des gens heureux dans un coin sombre du tableau.
Le langage sert tout au plus à mettre de l’ordre dans nos pensées. Pour changer le monde, la mitraillette et la pénicilline sont plus efficaces.