Divers
D’un bout à l’autre de l’espace littéraire, tout le monde encense Richard Powers. Est-ce bon signe ? Est-ce bon livre ?
Je reprends l’extrait lu dans Le Monde des Bulbes, la semaine dernière : un père (une histoire familiale) apprend à ses enfants (une histoire
édifiante) à reconnaître les étoiles dans le ciel (une histoire cosmique) dans un moment d’étreinte ambiguë (une histoire dysfonctionnelle).
Repris en boucle, le mot dysfonctionnel m’alerterait immédiatement sur la nature de ce roman si l’écriture du traducteur n’avait déjà parachevé mon travail
de sape. En quelques lignes, le roman me sort par les orbites. Lisez-en (manque de zan) des extraits en librairie et repartez avec Voix réunies d’Antonio Porchia, aux éditions Éres. Ce que j’ai fait. C’est moins cher pour deux
fois plus de pages. Et en deux langues.
La langue de Powers, romancier surdoué « qui bâille comme vous et
moi », dixit Le Bulbe, tient du funiculaire en panne : hisser le livre au top des ventes, sans essence ni courant. Le discours critique, aussi
insignifiant que l’extrait choisi, opte pour les grands travaux, poser les rails et passer les câbles : tel livre de Powers est « une magnifique partition musicale », tel autre
« une vertigineuse interrogation sur “ce qui fait que nous sommes heureux”». Les propos rapportés, sur le roman psychologique, la génétique ou la fabrique du moi, signalent
l’amphigouri neuneu et fonctionnel (littérature et modernité) d’un écrivain qui fera date dans les Virgin Megastores et les anus littéraires.
Voici le début de l’extrait choisi, pour son exemplarité, parmi 500 pages :
« Quelque part, mon père nous enseigne le nom des constellations. Nous sommes allongés dans le froid, dehors dans le jardin sombre, plaqués au sol dur de
novembre. Nous autres enfants nous répartissons sur son corps énorme comme autant de mouchoirs de rechange. Il ne sent pas notre poids. Mon père braque les six volts d’une lampe de poche à deux
sous sur les trous percés dans la coquille noire qui nous entoure. Nous sommes couchés sur la terre glacée tandis que devant nous s’ouvre le manuel illustré du ciel hivernal. Les six volts du
faisceau créent l’unique petit point chaud dans l’intégralité du monde. »
Mes dégoûts sont plus corsés que cette lavasse en français petit blanc.
En politique comme en littérature, le Rom manque.
La vie est un roman qui avancera sans toi, écrivain. Chante-moi plutôt la colère d’Achille.
– Or, Muse…
– Ta gueule.
Ils ne se sont pas rendu compte que les récits préexistaient à l’écriture. Alors Ils se mettent à raconter leur vie et c’est comme du chausson aux pommes pour le
lecteur, de la galette des rois. Brioche ou pâte d’amande (au choix) ?
J’ai pris chez Balzac des leçons d’écriture et de faillite. C’est Balzac boudiné qui fait œuvre et littérature – ce qui déborde.
En écoutant à la radio d’hier des écrivains de circonstance parler de leurs livres, le temps d’un court trajet discontinu, le journal, la boulangerie, il m’a paru
que la littérature qui s’impose aujourd’hui n’est pas tant pleine de professeurs que de premiers de la classe.
Le ton, la voix, le sens précis des genres et des catégories, le cran d’arrêt des citations, menace, distance, le simulacre du trouble existentiel très délicat, pli
du doute dans la voix – L’écrivain sait très bien qu’il doit donner des gages à des lecteurs qui lui ressemblent (ici : être rebelle et sage).
C’est un mauvais garçon qui connaît ses conjugaisons.
Non fumeur, j’ai décidé voici trois ans de consacrer l’argent de mes cigarettes à l’édition de livres disposés à partir en fumée.
Chaque livre me coûte, pour le moment, en déficit net, cent cinquante paquets de cigarettes dont je m’épargne la nausée.
En confiant l’impression à des ouvriers bulgares exploités sans honte ni retenue, j’aurais pu depuis longtemps équilibrer mes comptes et me mettre à fumer en
réduisant à rien l’achat de cigarettes.
Des collègues éditeurs [ici la liste des noms], beaucoup plus militants mais bien moins scrupuleux, ont fait le calcul avant moi. Ils ont cependant oublié le
plaisir compliqué que je m’offre, précieux comme le cancer dont ils hériteront : leur cracher dans les bronches.
[– Qui a cliqué ? car quelqu’un a cliqué.]