Impression à Bakou
La suite ne s’est pas fait attendre. Quelques cages (2015) de l’admirable et rare Daniel Franco, que je viens de recevoir via L’herbe entre les dalles, est imprimé, collé, bâclé en Bulgarie avec soutien du CNL. 80 pages, 16 euros. Merci, Catherine. Vous avez foi dans le talent de vos auteurs. Quand on est pauvre, on n’édite pas. On travaille. Et on édite le soir dans son garage ou dans sa cave (l’esprit de Résistance : Je suis cela, cousu, collé, payé et imprimé par Jouve en 2008).
Voici le cheminement inexorable – et vérifié – de nombreux éditeurs (militants, indépendants, iconoclastes, engagés – là n’est plus la question) :
Acte 1 : Ma vie, de P.N.A. Handschin, cousu, collé et imprimé en France, chez Jouve (salaire moyen de l’ouvrier : 1200 € net, pas de réduction des coûts). Nous sommes en 2010.
Acte 2 : Abrégé de l’histoire de ma vie, de P.N.A. Handschin, collé et imprimé en France, chez Jouve (salaire moyen de l’ouvrier : 1200 €, réduction des coûts d’impression, environ 10 %). Nous sommes en 2011.
Acte 3 : Traité de technique opératoire, de P.N.A. Handschin, collé et imprimé en Espagne, par Printcorp (salaire moyen de l’ouvrier : 600 €, réduction des coûts d’impression, environ 20-25 %). Nous sommes en 2014.
Acte 4 : Tout l’univers, VIII, imprimé et collé en Bulgarie, par Pulsio (salaire moyen de l’ouvrier : 180 €, réduction des coûts d’impression, environ 45-50 %). Nous serons en octobre 2015.
Acte 5 : Tout l’Univers, IX, cacographié au Bengladesh à la force du nez par des enfants sans colle ni bras (salaire moyen de l’orphelin : 60 €, réduction des coûts d’impression, environ 65-70 %). Nous sommes en 2017.
Acte 6 : Double page enthousiaste dans Le Matricule des fanges (Tout l’Univers enfin salué par la presse qui dérange – trompette et poil à gratter). La fête en 2020 !
On applaudit.
Catherine, je te propose un transfert. Je te rachète les avants-centres Handschin et Franco et tu édites dorénavrant tes livres de cuisine. Tu fais cela très bien.
On rapplaudit.
J’ai ressorti du placard ma ceinture de plastic. Je n’arrive plus à la boucler. Donnons-nous le temps d’un régime sans colle. Et puis J’arrive.
Il y a dans tout esprit subtil un vociférateur qui s’absente.
Cette histoire de fil banc est naturellement sans importance. La force d’un texte est si prégnante que, d’ici peu, sa présence matérielle ne manquera à personne.
Les puissantes statistiques de notre nouveau blog sont formelles : nos lecteurs sont essentiellement des robots. Nous pervertissons les goûts littéraires au cœur du système.
Pauvre Baudelaire, disponible à partir du 15 mai, vient d’arriver au Mans, grande tenue, papier, fil et douceur veloutée. Il est très beau. On s’est même offert des rabats (à d’autres les rabais). Le soin apporté au façonnage par l’Imprimerie Floch est sans pareil. Rien du rafistolage des colles et des consciences bidouillé par nos amis les petits Éditons de la farce militante dans les banlieues de l’Europe élargie. Les blancs tournants des couvertures tournent vraiment, les angles sont droits, proportions ajustées. Le pelliculage Soft touch assure au noir intense et bleu des couvertures une profondeur d’un mat étrange que nous songeons déjà à étendre à nos prochains ouvrages. C’est fabuleux. La main rêve au premier contact, l’esprit se dresse. Le livre est ravissement d’une précision égale au texte exorbité de Vipaldo, que je rencontrerai dans deux semaines, pour la première fois, moment quasi nuptial.
Les éditions Vagabonde, dont j’avais apprécié à Marseille, où elles résident il me semble, un Jules Laforgue imprimé en Scop et en double avec Carmelo Bene, imprime aujourd’hui les Réflexions & Maximes de Vauvenargues, le plus contemporain de nos moralistes, au prix d’un compromis avec la sueur qui fait tourner les machines bulgares. C’est porter haut le goût de la morale, apparemment indispensable à l’affairisme éditorial qui autorise à « voir parfois dans les écrits de ce moraliste sans égal comme les reflets d’une époque monstrueuse : la nôtre. »
Une morale de poivron farci.
J’allais acheter le livre. Je l’ai remis dans son bac à légumes.