Impression à Bakou
Non seulement nous ne parvenons pas à nous entendre sur les titres des quelques livres importants qui paraissent aujourd’hui (il y en a trois, pas un de plus), mais chacun d’entre nous défend des positions invraisemblables sur la fabrication du livre lui-même : untel imagine de supprimer le papier, tel autre de projeter le texte sur de petits écrans de poche, un troisième place sa survie dans l’exploitation d’ouvriers sous-payés, un quatrième s’invente des colles révolutionnaires, et voici que le tout-dernier veut envoyer directement le texte dans l’œil du lecteur.
– Tu sauras pourquoi tu clignes.
Incapables de nous accorder sur la forme d’un livre, nous prétendons malgré tout rendre compte de ce qu’il ne contient plus qu’à grand-peine et pour personne.
Nous avons cru au livre, et puis au texte. Nous voici maintenant occupés à gérer des flux.
Ceux / celles qui nous envoient leurs manuscrits sans avoir lu nos livres seront immédiatement pointés / pointées par nos tueurs à gages et traqués sans relâche et traquées sans relâche dans toutes les galaxies de (Tout) l’Univers. Toutes. Tout.
– Tu finiras dans le seau aux épluchures.
Considérant la situation calamiteuse des petits éditeurs militants et notre désir de les aider à en sortir, il faudrait sans doute s’abstenir de considérer les conditions d’existence de l’objet-livre de manière à ne porter de jugement que sur son contenu, et renoncer à déclamer contre les éditeurs qui abusent du travail de peuples appauvris, pour ne considérer que la question posée, la seule digne d’intérêt : l’exploitation du travailleur par la concurrence des salaires est-elle un scandale, oui ou non ? Savoir si on peut l’éviter dans la petite édition sera l’objet d’un autre livre imprimé à bas coût.
Ami lecteur, tu peux continuer à t’habiller chez H&M, le jugement et la conscience tranquillisés par le valium de la sophistique.
Poursuivons la liste des éditeurs imprimant à Bakou : Attila, Le Tripode. Et toujours Le Dernier télégramme, Les éditions de l’Attente ; chacun ayant des préférences touristiques, les premiers pour les pays Baltes, les seconds pour la Bulgarie.
Mes collègues éditeurs (nos petits éditeurs) aiment les voyages et les voyageurs. Je le constate de plus en plus souvent à feuilleter leurs livres (constatez-le à votre tour, c’est une maladie) un attrait net et systématique pour l’Estonie, la Lettonie, la Bulgarie, la Slovaquie ou la Lituanie – d’une manière générale, le communisme de marché les tente, ils en reviennent chargés d’impressions et de projets plus révolutionnaires qu’une volte-face.
De Vilnius à vil prix, ils se forment à la logique des salaires minimuns de croissance – ouvriers enthousiastes, la chargée de communication a moins de 23 ans.
Je me charge des autocritiques (vous de boycotter leurs livres).