Librairie
Les libraires indépendants sont magnifiques. Ils sont devenus les victimes superbes d’un monde échu. Il est d’usage de rendre hommage à leur courage. Ne nous en
privons pas. Après tout, Le Livre est en danger.
En défendant Le Livre, les libraires ont compris qu’ils s’épargnaient le souci d’avoir à choisir des auteurs et des livres. Qu’on les rappelle à leurs
responsabilités, ils s’en offusquent. Et puis retournent à leurs cartons. Bientôt les ponts. Splendeur de la misère en librairie.
Les librairies indépendantes sont magnifiques. La méchante Amazone est responsable de tous leurs maux. Nous ne pouvons lutter ! disent-elles, en poussant les
hauts cris, cris, cris – échos dans les journaux. Mais en revanche elles tiennent, comme la moule à la frite, au modèle économique qui les enchaîne aux éditeurs-distributeurs. Les librairies
indépendantes ont renoncé à faire des choix, quand Amazon a fait les siens depuis longtemps.
J’ai déposé le 25 avril 2013 deux exemplaires du Plancher de Perrine Le Querrec, à L’Atelier, Paris 20e, librairie indépendante associée à Libr’est. Je reçois hier un mail m’invitant à passer reprendre les exemplaires qu’ils n’ont malheureusement
pas vendus. J’ai failli m’excuser. En réponse, je leur signale deux choses : leur renoncement après cinq mois ; leur responsabilité dans la mévente (+ quelques blagues de mauvais goût pour
entretenir la distance).
Les libraires indépendants sont impayables. Ils préfèrent ramer contre Amazon à l’urgence d’échapper au flux qui les noie. Ainsi poussent-ils avec vaillance des
livres aux titres interchangeables, leurs bouées de sauvetage, en s’étonnant d’être devenus les débardeurs des éditeurs-distributeurs ; leur boutique, le showroom d’Amazon. Des lois retarderont
le processus, pensent-ils, mais au prix d’une amplification de leurs renoncements. Préparons-nous en prime aux mégawatts de leurs jérémiades.
Job et Jérémie, libraires indépendants.
(Les libraires aimeraient bien avoir le monopole de Jean-Rolin. Mais Amazon dit I love Jean-Rolin aussi.)
Ils ont eu l’air surpris de ma réponse, à l’Atelier, on a généralement plus d’égards pour les libraires, ces pasteurs de littérature tarifée. Ils me proposent du
coup de renvoyer les livres, renonçant à faire l’économie d’un timbre pour m’épargner le voyage à Paris. C’est chic ! Les libraires sont magnifiques –
– prêts à payer chaque mois les frais de port aller-retour aux éditeurs-distributeurs, mais ils invitent courtoisement les artisans de livres inattendus à venir les
reprendre aux quatre coins de la France occupée à remplir et vider des cartons d’Hachette-Nouveautés. Nous attendons encore les livres que les libraires de La Machine à lire, à Bordeaux, tiennent à notre disposition.
(Pour les lecteurs, c’est non.)
J’ai au moins gagné ça. Je n’aurai pas à me farcir les bobos du 20e en extase aquatique dans Jean-Rolin. – Prix de
la langue française, sauce comprise.
Incapable de lire autre chose, le libraire donne le change en acceptant en dépôt des livres dont le sens littéraire et politique lui échappe et qu’il déstocke au
bout de quelques mois. Demande à ton pied gauche d’apprécier ton pied droit.
Le problème du livre, c’est le faussaire indépendant.
Dans un monde où le libraire ne lit pas, doit-on se passer du monde ou du libraire ?
N’ayons garde d’oublier le petit éditeur subventionné : ne s’embête plus à vendre ses livres (ni à les éditer).
Soyons clairs. Nos livres sont présents dans quelques librairies partenaires, auxquelles nous accordons notre affection la plus tendre. Nos lecteurs sont invités à les y retrouver.
Soyons plus clairs. Il est inutile et illusoire de commander nos livres chez votre libraire de quartier (sympa, super, militant, défenseur des petits éditeurs) en espérant lui faire découvrir des livres garantis sans phosphate. Il ne saura qu’en faire : Télérama et Le Matricule des Ânes n’en ont jamais parlé. Le libraire indépendant a besoin de béquilles.
Soyons d’une haine plus objective encore. En trois ans d’activité, la commande occasionnelle d’un libraire (super, sympa, etc.) n’a jamais donné lieu à une deuxième commande destinée à enrichir son fonds. Le libraire très indépendant empoche les 35 % de remise, les frais de port offerts, sans plus de curiosité (Téléramou n’en a toujours rien dit). Certains libraires ne payent pas leur facture (Richer, à Angers). D’autres font faillite (Camponovo, à Besançon).
Tant mieux. Nous avons renoncé à l’illusion et changeons d’optique : nous ajouterons désormais les frais de port aux commandes d’occasion des librairies indépendantes. Précipitons leur faillite.
Apparaîtront alors, dans l’horizon dégagé, les vitrines de libraires libres.