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884.

Je ne comprends pas pourquoi tant de petits éditeurs s’entêtent à faire faillite malgré la qualité assourdissante de leurs ouvrages et le soutien motorisé de la
crème littéraire.

 

– Comment survivre à la faillite des lecteurs ?!
– Les ignorer.

 

Suivons d’un œil distrait la verticale des œuvres déjà couchées auxquelles ne manque que le prière d’incinérer.

 

Le voici :

En France, de toute manière, on a toujours détesté le génie. Surtout s’il irradie d’une vitalité irrépressible : on met un point d’honneur à trouver ça de
mauvais goût. On s’offusque notamment de la facilité, de l’immédiateté du geste.

(…)

Combien de temps l’intelligence française s’est-elle déclarée froissée par le débraillé d’un Montaigne, incommodée par l’extravagance d’un Shakespeare. Et insultée,
violée par Baudelaire. Et si elle feint aujourd’hui de ne plus l’être, n’allons pas croire qu’elle s’amende pour autant. Pas question de se dédire et de se laisser aller à vraiment aimer
ce qu’elle a si longtemps réprouvé. Elle se contente bien entendu de récupérer les perturbateurs, de les passer à la petite moulinette de sa lecture critique, et d’en faire comme le
reste un subtil consommé, si possible inoffensif et surtout : compatible aux palais délicats.

(…)

Francis Ponge en Afrique : quelle triste farce ! On l’entend d’ici siroter sa limonade sur une terrasse sursucrée de crépuscules et de bougainvillées,
notant de l’autre main sur son cahier d’épicier tout ce que son regard engourdi, voilé de grisaille française peut grappiller alentour, avec la satisfaction du « grand poète » qu’il se
persuade, quoi qu’il en dise, un peu trop être, et toute la suffisance nauséabonde de ce touriste qui, passant tout ce qu’il touche, ou ce qui lui touche l’œil à la moulinette molle, au crible
systématique et forcément menteur de sa boîte noire Canon ou Kodak, réduit sans scrupules tout un pays, soit tout un monde, à une série de trente-six poses-postcards colorés et envoyables (à son
éditeur parisien dans les vingt-quatre heures) : écœurant.

 

Cédric Demangeot, Une inquiétude,
Coll. Poésie, Flammarion, 2013, pp. 88-91

 

 

 

883.

À la verticale du pire : le caveau.

 

Récemment feuilleté, d’Hélèna Villovitch, L’immobilier, extrait :

 

La moquette est orange. Le rideau est jaune d’or. Le plafond est en pente. Sujet verbe complément. Personne, après avoir gravi sept étages à pieds, ne se lance dans
des phrases interminables. Le lit est incrusté dans une espace de coffrage en bois qu’on appelle un cosy. De l’autre côté de la cour, derrière une fenêtre semblable à la mienne, je peux voir une
fille blonde qui me ressemble. Lorsqu’elle m’aperçoit, elle se cache derrière un rideau rouge. Tous les matins, j’ai une crise d’asthme. Je descends l’escalier en respirant fort, je me traîne
jusqu’à l’école d’arts, je prends un café au distributeur. J’allume une cigarette. Sujet verbe complément. Ça va mieux.

 

Le week-end, je rentre chez mes parents. Dans le train du vendredi, je vois toujours les mêmes têtes. Je reconnais des gens avec qui j’étais au lycée l’année
dernière. Plutôt que de m’asseoir avec eux, je passe deux heures debout dans le couloir à fumer. Lorsque le train marque l’arrêt, je suis la première à descendre. Sur le quai de la gare, j’offre
en spectacle mes cheveux au vent à l’intention des passagers qui continuent leur voyage.

 

 

Pierre Jourde avait déjà signalé le subterfuge qui fait passer pour littéraire de la farine bovine au moyen d’un clin d’œil adressé au lecteur : sujet verbe
compliment. 

 

La traçabilité littéraire conduit aujourd’hui à du hachis chevalin.

 

(Nous reprenons la route des moulins.)

 

882.

Just a hint (2)

Brodsky's tomb in Venice_April 2009

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

San Michele (avril 2009)

 

 

La pensée du flou est en avance sur sa mise au point.