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La grand-voile n’est plus qu’un vieux drap dès que le vent retombe.
Le romancier fait des émules. Mais il fait aussi des mules. Des mulets. Des ânes bâtés.
À force de battre de l’aile, notre petite entreprise finira bien par décoller.
En sautant une page sur deux, un mot sur dix, la littérature narrative du XIXe retrouve sous nos yeux ébahis une seconde jeunesse, à saute-mouton d’un siècle dans l’autre.
Je ne retiendrai de la catastrophe que la poésie.
Au pied de la matrice d’Anish Kapoor au Grand Palais, j’ai commencé un petit livre inattendu, graphique, charmeur et polisson, façon XVIIIe siècle, ludique impertinent comme le sont
rarement les livres de notre siècle, d’un écrivain (une rive reine ?), dont voici un passage (du tout) :
(Il lui arrache sa petite culotte en soie et elle lui dit :
Si tout le monde faisait comme vous.
Si tout le monde faisait comme moi ? dit-il.
Il n’y aurait plus de petite culotte en soie, dit-elle.
Il lui ouvre les fesses d’un coup
– Comme s’il ouvrait une pastèque extraordinaire,
pense-t-elle –
mais, j’ouvre les pastèques comme ça, pense-t-il.)
Ma petite culotte en soie contient l’infini
(et l’infini est à consulter sur place)
Pascale Petit, Sharawadji – Manuel du jardinier platonique, L’inventaire, 2010.
À lire sans rien sauter (du tout).
Enlevez l’épine, vous aurez le poète. Le roman, c’est l’épine.
Iguanes et moines est en ce sens une fameuse gorgée de contrepoison, peut-être un antidote au romanesque obligatoire du moment.
Le livre d’Éric Chevillard fait de la parodie, si forte dans ses « romans », un écrin pour la poésie, la première donnant vie à la seconde – tentation
forte aussi de l’étouffer au passage. La poésie l’emporte ainsi d’une tête sur la parodie. Et l’ironie se dissout à son approche. Ou presque (la tête).
Allez, vite avant que le ciment de la langue ne prenne, écrit-il en substance dans « une note d’intention en bon français » supprimée (manque d’encre ?) dans la version
imprimée (manque de papier ?) qui vient de paraître chez Fata Morgana.
Espace à conquérir contre la raison et le figement – mobilité des mots, incertitude du sens –, la poésie suppose un abandon au travail de la langue en soi. Ecouter
ce qui sourd.
L’ironiste résiduel et résistant ne parvient pas à faire taire le poète, génie aux abois, tête asphyxiée vers la beauté des assemblages de mots, d’émois, de quoi,
car le poème de Chevillard, grâce à ce stratagème parodique, laisse entendre à certains moments des élans lyriques d’une justesse inédite : « Parce que le ciel est trop loin on le rapproche
on se hisse dedans on s’y accroche on s’y suspend… » La langue ose alors la naïveté, sous la protection de la parodie, en risquant plus librement le malentendu avec soi-même : « c’est
vide c’est beau, comme on est bien sans ça ni rien ni bois ni quoi. » Le poète naît au moment où le virtuose, voyez ses muscles, lui cède la place.
Il suffit de comparer le ciel au mimosa, dix pages plus loin : « le mimosa mais c’est beau ça le mimosa j’en veux en permanence chez moi (…) c’est beau le
mimosa ça me plaît à moi c’est jaune voyez-vous » L’ironie déployée piétine sans doute une forme d’émotivité vague, coquelicot dans le champ, à laquelle la poésie est souvent réduite. Et si
l’ironie interroge à bon droit la gestation poétique, elle risque aussi de piétiner, avec le poème, la voix qu’il porte.
Ce balancement fragile entre parodie et poésie, ironie et abandon, virtuosité et jaillissement, signale un nouvel engagement de l’écrivain : « Lune voici ta hutte de lierre ton beau tombeau
ma belle ce sanglot sans glotte cette grotte de silence dans la terre où j’irai quelquefois avec toi me taire. »