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En relisant Mouton de Morgiève.
Ce livre est un agent actif contre la lumpen-prolétarisation des esprits en marche vers le pôle emploi de la tristesse littéraire.
Il agit à mots sourds, un pas suivi d’un coup, en redonnant à la langue commune, orale et appauvrie, la dimension singulière d’une écriture.
Il agit contre la tentation à l’œuvre chez la plupart des grands écrivains contemporains, romanciers désormais, de céder du terrain à la culture en vogue, savante
ou populaire.
Il agit contre les écrivains convertis au roman (chacun pourra se reconnaître ou s’ignorer), tentés par une dérive littéraire, de la périphérie à demi éclairée vers le centre où la lumière est dense, et grasses les ventes.
Cette dérive progressive, progressiste finalement dans son désir de conquérir un vaste public, est perceptible dans le polissage façon jeans de leur langue (nuance explicative / ajustement éditorial / modèles interchangeables), qui se rêve novatrice alors qu’elle porte les traces d’un renoncement à la surprise – coup de pistolet improvisé dans le concert des conditionnements littéraires.
La périphérie a pourtant sa raison d’être dans l’incertitude même de son espace géographique, tributaire d’un centre, dont elle doit s’éloigner pour exister, en rêvant néanmoins de l’atteindre un jour. Si Toute littérature est assaut contre la frontière (Kafka-Journal), la périphérie signale une aire de contact possible avec la pensée inédite, autre, celle qui nous parvient du dehors de nos existences communes, par-dessus les couloirs de contention (vers la mort, les cinq cents mots de la langue scolaire ou la retraite à 67 ans). Toute littérature est assaut contre la langue commune, qui fait tomber les frontières sur un espace vide.
La périphérie des écrivains que nous aimions s’éloigneaujourd’huide nous. Elle rêve d’être à son tour un centre. Elle hésite encore un peu, ici et là. Mais les trajectoires sont déjà dessinées.
C’est vers la marge, la frange, le bord que désormais se détourne mon regard, se dit David Marsac, pose altière dans paysage immense, un pied sur le rocher surplombant l’avenir.
Drôle, glauque, pas de concession. Rire, arme de poing. La langue de Morgiève se fourre dans la bouche du lecteur amolli : rire déployé, saveur gluante.
Il fo lire se liv’. Cet aut’ chose que Mélisse d’Harangue-la-dalle, prix Céleri rémoulade 2010.
Je vous signale qu’il existe à Angers, 21 rue Maillé, une librairie
associative bien fournie en littératures réfractaires, introuvables à la ronde, proposées dans un espace sourires, saluts,
conversations, croisement d’informations ou de projets – pas de post-it sur les bouquins, tout est bon (Orwell au grand complet, Hyvernaud, Agone éditions).
Cet espace associatif propose en prime un comptoir où s’accouder et boire thé et café, exotisme sans danger (pas de dalaï-lama dans le fond de la tasse).
+ : le pompon sonnette = un atelier de réparation de vélos – La tête dans le guidon.
Cet accord inédit entre exotisme et bicyclette, littérature et sport de combat mérite/ exige/ impose/ comment vous ne connaissiez pas/ que vous vous égariez de ce
côté, en bordure de la ville – avant qu’il ne soit lui aussi transformé en F2 à la chaîne (voir Mouton de Richard Morgiève).
Lecteur effréné, Frédéric fait tourner le rayon littérature, en expansion (+ recommande et vend nos livres à des lecteurs curieux ou intrépides).
C’est vous dire que Les Nuits bleues ont plus d’un tour de roue dans notre horizon.
À l’assaut des frontières, au passage de la douane, David Marsac dut montrer son passeport, mettre les doigts dans l’encrier, puis déposer ses livres en quarantaine
sur les rayons de la bibliothoque prévue à cet effet.
– Et je fais quoi maintenant ? se dit-il en parcourant, mains dans les poches, le Nový židovský hřbitov, aux alentours de Prague (c’est impossible à
prononcer mais historique). Frapper à la tombe de Kafka ?