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David Marsac vous recommande pour la saint Serge le livre de Sylvie Nève, Peau d’âne, aux éditions Trouvères &
Compagnie, publié en 2008.
Vous connaissez le conte soit par le sieur Perrault, soit par le sieur Demy (coffret Demy en vente depuis décembre 2009 – page de publicité sponsorisée). La
poétesse et performatrice Sylvie Nève en a donné récemment une version combinant les deux approches. Le rire de Delphine Seyrig, la grâce de ses voiles à jamais transparents, le ton enjoué des
interdits posés d’un coup de langue magique et la subtilité d’un conte expansé d’après l’original classique.
Le poème, faut-il le rappeler, traite d’un désir incestueux, dont la figure contemporaine du pédophile errant est le symptôme dans la dramaturgie médiatique
actuelle (dit au passage) : un roi de conte veut épouser « sa fillancée », la seule à surpasser en beauté la reine défunte. Fou de chagrin mais pas exempt de ces chatouillements
problématiques, le roi se convainc de son droit (à bon roi, bon droit). Comme ses prédécesseurs, Sylvie Nève se joue du drame, en germe dans ces prémices, au fil d’un vers libre, rythmé et
sonore, narratif ou musical, fouillant les différents registres et ambiguïtés ludiques de la langue, du calembours aux répétitions assonancées, jeux de miroirs révélateurs.
Elle illustre en cela cette forme volatile de la littérature que je défends aussi contre le marbre figé des postérités attendues, espérées, froides et illusoires
comme le Dieu géant planté dans les églises.
– Il n’y a plus guère que des écrivains foncièrement catholiques pour croire encore à la postérité des œuvres, à leur utilité posthume, à leur intelligence d’un
siècle dans l’autre, se dit soudain David Marsac, réveillé par ses réflexions inédites.
David Marsac redonne du sens à la critique en commentant le livre de Rémi Checchetto, Nous, le ciel, paru aux Éditions de l’Attente, en 2008.
Lue en diagonale à la suite de la rencontre de l’auteur dans un train (Derrida venait de mourir), écartée trop vite pour le caractère répétitif de ses procédés d’écriture, l’œuvre de Checchetto est pour moi une redécouverte récente, précieuse, rare, joyeuse, entreprise à l’automne 2009 (Levi-Strauss mourait). Homme de théâtre, demeurant à Angers, Rémi Chechetto compose des textes visuels autant que sonores. Nous, le ciel, part d’une idée simple (« Le ciel est en l’air ») contemplée selon divers points de vue, multipliant les images et les confrontations entre un Nous terrestre plein d’aspirations et un Ciel, « toujours la même salade », qui nous ressemble comme deux gouttes d’eau – tombées très justement d’en-haut. Les répétitions minutieuses qui construisent les textes leur donnent un rythme aérien et dansant plutôt qu’incantatoire, au gré duquel surgissent les images fortes, tendres et insolites du quotidien de chaque homme vivant sous un ciel clément, inclément. Il existe des oeuvres dont la légèreté est une aubaine, une aube, une petite laine pour passer l’hiver. « Le ciel est quelque part au fond de notre boîte crânienne. »
En attendant le tram, l’amour ou la déclaration des impôts locaux, sous les pluies d’automne – avant le bel été de la Saint-Martin, je vous invite à lire ce livre de Remy Checchetto, que je place, sans l’assigner à résidence, entre Cendrars et Albert-Birot.
– Tes petites polémiques, Ô Écrivain, ressemblent à mes calculs rénaux, lui dit David Marsac, droit dans les yeux du miroir de la salle de bain.
Le petit éditeur cherchait à en découdre, harcelait les passants, appelait au combat, bâton noueux et moulinets habiles au dessus de la tête, qu’il heurta
violemment.
– Te voilà mort, presqu’enterré, Ô Écri –
Avant de mordre la poussière, attaqué par derrière.