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Mes collègues éditeurs (nos petits éditeurs) aiment les voyages et les voyageurs. Je le constate de plus en plus souvent à feuilleter leurs livres (constatez-le à votre tour, c’est une maladie) un attrait net et systématique pour l’Estonie, la Lettonie, la Bulgarie, la Slovaquie ou la Lituanie – d’une manière générale, le communisme de marché les tente, ils en reviennent chargés d’impressions et de projets plus révolutionnaires qu’une volte-face.
De Vilnius à vil prix, ils se forment à la logique des salaires minimuns de croissance – ouvriers enthousiastes, la chargée de communication a moins de 23 ans.
Je me charge des autocritiques (vous de boycotter leurs livres).
Tout le monde semble gagné par le désir d’indépendance : le libraire, le critique, le lecteur, l’écrivain, le blogueur et jusqu’à l’éditeur. En un mot : plus personne ne souhaite payer ses livres.
J’ai eu confirmation que de nombreux libraires poussaient l’indépendance jusqu’à refuser de régler leurs factures. J’en avais fait quelquefois l’expérience à l’époque où je diffusais les livres des Doigts (des pieds et des mains). La chose aujourd’hui se confirme. Cette réalité nous oblige à une action de salut public. Nous préparons une page Facebook : « Ton libraire pue, changes-en ! »
Il existe par ailleurs des libraires libres dans toutes les villes de France. C’est pour eux que nos cœurs battent et là que nous voulons placer nos livres. Nous préparons une page Facebook : « Ton libraire lit, prends soin de lui (en plus il paie ses livres). »
Je viens de lire un opuscule de Blanqui* imprimé en Europe de l’Est par une maison d’édition qui publie aussi Jaurès, Kropotkine, Hugo et Louise Michel. Contaminé par la sueur bulgare, le lecteur s’en savonne les doigts d’enthousiasme. L’émulsion lui tient lieu de révolution. Nous préparons une page Facebook : « Ton éditeur de gauche est un capitaliste de droite : Et toi ? »
* « Les riches font travailler les pauvres. » À peu près, en effet, comme les planteurs font travailler les nègres, mais avec un peu plus d’indifférence pour la vie humaine. Car l’ouvrier n’est pas un capital à ménager comme l’esclave ; sa mort n’est pas une perte ; il y a toujours concurrence pour le remplacer. Le salaire, quoique suffisant à peine pour empêcher de mourir, a la vertu de faire pulluler la chair exploitée ; il perpétue la lignée des pauvres pour le service des riches, continuant ainsi, de génération en génération, ce double héritage parallèle d’opulence et de misère, de jouissances et de douleurs, qui constitue les éléments de notre société.
Auguste Blanqui, Qui fait la soupe doit la manger, p. 21
Nous remercions les éditions d’ORES ET DÉJÀ de nous avoir fourni la théorie et son illustration un premier jour de mai. Grâce à son directeur, Blanqui l’insurgé peut se coucher sur la lunette arrière.
Bonus et parachute doré pour le lecteur curieux de petits éditeurs militant tout schuss sur la pente bulgare du meilleur prix : Le dernier télégramme, Cambourakis, Les nouvelles éditions Cécile-Defaut, les Éditions de l’Attente… (Comptez sur nous pour compléter la liste.)
Nous souhaitons incliner à mort la pente de nos amis. Il y a toujours concurrence pour les remplacer. (Nous préparons une page Facebook.)
Je n’ai rien contre le plaisir de lire, ni contre Jean-Echenoz (ni-Kerangal), rien non plus contre le lecteur, il a tout mon soutien, un voile pudique jeté sur sa dépouille (Sache aussi que tes goûts sont mortels), non rien absolument, si ce n’est que je n’ai pas le goût des phrases digestives – tisane ou infusion du soir ?
« On passe à table et, bien qu’on ait prévu de petites parts prédécoupées pour l’amiral, celui-ci manifeste une belle adresse pour manier sa fourchette et son couteau d’une seule main – c’est encore qu’au large de Santa Cruz de Tenerife, comme à bord du Theseus il projetait de s’emparer d’une masse d’or convoyée par un navire ennemi, Nelson a été atteint par un tir de mousquet qui, fracturant son humérus en plusieurs points, lui a soustrait l’exercice de son bras droit aussitôt amputé. »
Caprice de la reine
Ce n’est pas tant une mauvaise phrase qu’une phrase qui n’y est pour personne, une phrase rincée d’avance, une petite phrase prédécoupée pour un lecteur nourri aux petits riens de l’existence mâchée par la machine éditoriale – des riens portant la mort au cœur des gens et du langage.
À chaque parution, Jean-Echenoz est plus qu’un événement, il est notre Chevènement (notre Chirac, notre Hollande), plus qu’une langue, il est notre Jack-Lang, une bourrique essorée qui tourne dans le manège public au trot de petites phrases accompagnées de ce que la sciure absorbe vite – tagada, ploc, ploc. Jean-Echenoz, c’est l’occupation des cerveaux disponibles à l’heure des librairies indépendantes.
…lui a soustrait l’exercice de son bras droit…
…lui a soustrait l’exercice de son bras droit…
– À toi, P.N.A. !