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Voyez aussi comme la diversité des goûts s’uniformise dans la majorité des livres.
Je guette un retour d’ascenseur, la porte ouverte sur le vide.
La Cause littéraire m’informe qu’un article sur Le
Plancher est en ligne. Je m’en réjouis pour elle. Ce site propose de servir la littérature. L’excuse est un peu rassise, mais je flirte moi aussi avec elle en titillant la plaie ouverte.
L’idée consiste à inviter des lecteurs rédacteurs à dire combien ils ont aimé ou non tel ou tel livre et, si le temps le permet, beau fixe ou nuages gris, pousser la chansonnette du désespoir ou
de la joie de vivre en se fendant d’un texte plus personnel, une nouvelle, un poème. C’est en ligne.
Pourquoi pas ? La diversité est réelle, la maîtrise du français et des codes littéraires tout à fait instructive.
Je n’aurais rien eu à en dire si je n’avais aussi voulu verser mon obus à une si juste cause, littéraire s’il en fuit, et lu la Charte de bonne conduite à respecter
avant d’écrire. Clause première :
Les racismes hors d’usage et la pédophilie dans et hors les familles sont formellement proscrits.
Cela aurait été sans dire. Je poursuis donc en maugréant la liste des interdits autorisant tout un chacun à écrire et à dire. Tenez-vous bien, attachez vos lacets,
finissez de rougir ! Les propos injurieux, les anathèmes, les invectives, les harcèlements, l’incitation aux crimes contre l’humanité, le vol de la propriété intellectuelle et la provocation
sont des causes immédiates de licenciement.
C’est là que j’ai cliqué. Je me suis viré moi-même. Je me voyais déjà crachant sur mon prochain, honnissant sa conscience tartignole, poivrant ses nuits d’un plomb
fondu dans du mauvais esprit. Inutile d’insister. J’étais viré d’avance.
Les bras m’en sont tombés à quatre pattes.
(Je ne vois que Don Quichotte dont la vie fut un roman, et encore, à une époque où il ne faisait pas bon vivre.)
La profusion me plaît, je me repère très bien, je navigue sans compas. Deux bouts d’index et je termine un livre ; dix doigts, la table du libraire. Un pas,
deux piles ; dix pas, trois tables. J’avale, j’avale, j’avale. Je suis le spécialiste des livres sans auteur, sans titre, sans phrase, auxquels ne manque aucun lecteur. Toute la littérature
contemporaine en temps réel, produite et digérée. Je ne m’en lasse pas.
Puis la libraire apporte ma commande et je repars.
J’écoutais en même temps le représentant faire l’article à une autre libraire. Des livres, des livres, des livres. Ni l’un ni l’autre n’en avaient lu les premières
lignes, mais l’un et l’autre semblaient s’entendre à demi-mot, la connivence de l’un trouvant écho dans le dédain de l’autre, et vice-versa, dans un duo rodé de tutoiements laineux et d’accords
rauques. Le sort d’une trentaine d’ouvrages fut décidé en moins de temps qu’il ne m’en faut pour feuilleter la pile des nouveautés.
– C’est l’histoire d’un type qui perd ses bras. C’est l’histoire d’un écrivain qui s’appelle Mallarmé. C’est le récit d’une histoire vraie où tout est arrivé. C’est
l’histoire d’une femme à qui l’on coupe deux –
Pas de panique. Les retours sont sur place.
Sur le point d’envoyer mon dossier, me revient en mémoire le conseil avisé d’une éditrice, auteure à ses moments, lors d’un salon de poésie (ça réduit les possibles
sans trahir ma voisine) : « Ne comptez pas sur les ventes pour vivre dans l’édition. Faites des demandes de subventions. Ça vous épargnera de passer la journée crispé sur le niveau des
piles. »
Une subvention et, du même coup, je règle la question des libraires, des lecteurs, des stocks et des critiques ! Une subvention à l’impression, une centaine
d’exemplaires en vitrine, et puis en route vers le pilon, ce lecteur assidu de pans entiers de la littérature contemporaine.