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J’aimerais croire moi aussi à l’idée que la croissance exponentielle de la pratique artistique détrônera un jour l’économique au point de rendre possible un
monde où l’art prendrait sa place au centre des relations sociales.
Ainsi me le rappelle Jean-Claude Pinson, sa Poéthique : « à “l’âge démocratique” (au sens de Tocqueville), la multitude tend à être une multitude
“artiste”. » Je ne suis pas certain du sens à donner aux guillemets, mais je souscris à ce jugement. L’abondance des manuscrits de qualité que je reçois n’est pas un signe ; le nombre ici
fait preuve.
Limités aux seuls critères du goût, imprescriptible, imparfait, fantasque, mes choix n’en sont que plus injustes et dérisoires.
L’abondance des ressources numériques, par ailleurs, où fictions, poésie, critiques et philosophie entrent frontalement en concurrence avec le contenu des livres
publiés, oblige à envisager la question simplement : sélectionner des textes à imprimer sur du papier a-t-il encore un sens face aux milliers de pages numériques de haute tenue ?
L’édition sans éditeurs qui triomphe aujourd’hui n’est pas la création de multinationales avides de gains rapides, mais l’expression de lecteurs de plus en plus
nombreux à être artistes, poètes, écrivains.
Nous voilà bien.
Nous aurions tort de prendre trop à cœur la responsabilité des libraires dans le désastre des livres, d’ailleurs très relatif (Jean-Rolin se vend bien).
Quoi qu’il en coûte, il faut l’admettre par la gorge. Les auteurs invendables doivent prendre une part pleine et entière à la faillite de maints gentils petits
éditeurs.
Dindon de ce marché où le bon sens recommanderait Jean-Rolin plutôt qu’ – un reste de prudence –, l’éditeur est d’emblée excusé. Il ne prendra aucune part
au débat.
Mais l’auteur ? Le simulateur des ventes, le surnuméraire des salons de province, l’obstiné des presses locales, l’expert des plateaux télé, toujours du mauvais
côté, le prétendant aux à-valoir vite avalés, l’avorté de la gloire immédiate, le recalé à vie ?
L’incompétence narrative est chez lui sans limites ; le déni du lecteur, un principe moral.
Honte à l’écrivain dont le pilon est le plus grand succès.
Je viens de feuilleter dans un supermarché la pâte des derniers livres d’Harlan Coben et de Douglas Kennedy, dont les libraires me disent qu’ils sont des maîtres
dans leur genre.
De quel genre s’agit-il ? Confondent-ils le maître et l’enseigne ? Quelle gueule ont les lecteurs d’étrons si mal poussés ? à moitié sortis ? Quel plaisir à
s’en saturer l’œil ? les doigts ?
Je relève le nez et vois ma gueule dans le rayon supermarché de ma librairie.
L’élitisme a bien tenté de sauver les masses en tirant la chasse, mais très mal. La porcelaine est imbibée.
Le post-it du libraire effleura Luce au bon endroit tandis que Gulliver parvenait par l’autre voie voluptueuse à posséder sa
fille, la reine de Lilliput. Un rare moment d’extase en librairie.
On ne saurait mieux encourager les enfants à la lecture en leur recommandant ce livre de Maurice Heine, écrit pour eux, tant la famille y est dépeinte avec un
réalisme qui ravira plus d’un, plus d’une. Ça les changera des couches et du paquet habituel des littératures enfantines.