Peuchmaurd
Pierre Peuchmaurd
Fatigues
Aphorismes complets
L’Oie de Cravan, 2014
J’avais d’abord lu Pierre Peuchmaurd chez Pierre Mainard, les éditions – parlons-en au passage, prendre rendez-vous pour mieux y revenir, aux éditions Pierre Mainard, éditeur impeccable, dont les ouvrages sentent bon le fil et le papier sorti des presses d’Edmond Thomas, enfin pour ceux qui en sortaient, en sont sortis, imprimeur aujourd’hui en retraite à Bassac, je n’ai aucune nostalgie sur la question, seulement le goût du bel ouvrage bien fait, tope là, et bien payé surtout (rien des jérémiades à main-d’œuvre sous-payée de mon nouvel ami Christophe-Lucquin), – Les frappes chirurgicales se font sans anesthésie – ; j’avais lu Pierre Peuchmaurd en prenant Le Moineau par les cornes, meilleure manière d’en faire une brouette – et allez ouste ! – et pourvue d’ailes en plus – le lecteur en devient transportable s’il est normalement conditionné (cerveau, deux mains flap, flap, la branche d’une parenthèse pour se poser), je l’avais lu et ce moineau m’avait donné le goût de Pierre Peuchmaurd chez Pierre Mainard, chez Pierre Mainard d’abord, exclusivement, j’ai tous ses livres, ou presque, j’y reviendrai, on se revoit en mars prochain, – puis ma curiosité avide s’est ouverte à d’autres fidélités, l’avidité est mère d’autres fidélités, – c’est drôle – faut-il y insister – cette obsession du livre cousu, collé et imprimé sur du papier de qualité (rien de cette poisse de colle et de voyages vers l’est de nos amis les petits exploiteurs militants, Une idée sombre, elle coule), car le livre bel et bien imprimé a vécu, disent les vendeurs d’écrans à voir se défiler le texte, adeptes des contenus (en laisse), et son déclin est assuré, disent-ils, à l’instar des vinyles que les bêtas rachètent à des prix qui vous sortent par les yeux, de sorte que Pierre Mainard a raison d’imprimer de beaux livres, la seule raison à laquelle s’accrocher, des livres que vos arrière-petits-squelettes retrouveront, quand vous serez bien morts et oubliés, dans mes greniers : – Caisse ? – Des voix enregistrées sur du papier – ces livres que Pierre Mainard diffuse et distribue lui-même en s’appuyant sur des lecteurs, mordicus jusqu’à l’os, de la race des roquets, dont je suis et fidèle, dont je reste, pas de risque de me voir changer mon squelette d’épaule, du coup – quand j’ai eu dans les mains les aphorismes complets venus de Montréal, annoncés puis livrés à L’Herbe entre les dalles (au passage, prendre rendez-vous pour mieux y revenir à L’Herbe entre les dalles, la librairie du Mans où Handschin et Peuchmaurd saluent de toute part votre arrivée, ou presque – on trouve aussi les livres de mon nouvel ami Christophe-Lucquin, une aubaine pour les fléchettes), je me suis dit, voyant l’ouvrage, la vache et merde, tout dru, L’Oie de Cravan choit encore dans la colle avec ce livre mal embroché, papier de couverture subventionné par Rizla+, tu ouvres le livre/t’as peur qu’il craque et que les aphorismes, moignon d’anthologie, te restent entre les cartilages : – C’est quoi, ces chips ? – De l’aphorisme complet dans un paquet de serviettes à pique-nique ? Il manque du fil à vos idées, les Québécois, pensez à vos neveux dans mes greniers, ils se mettront quoi dans l’iris ? – Les aphorismes complètement dépareillés de Pi re Peuch a rd, couverture illustrée par le temps (ça fait des lustres qu’on vous le dit que le temps passe).
– Je ne vous comprends pas. Vraiment. Votre cœur n’y est pas. Le livre est laid, du poubliable à courte vie, c’est dommage — très. On dirait même les souvenirs d’un retraité du métro québécois qui promènerait son chien en couverture (est-ce le Québec qu’on voit ?).
– Peuchmaurd mérite le fil et vous la corde. Entendez-vous, grenaches, vous êtes vraiment épais dans le plus mince.
(je sais)
Et pourtant, L’Oie, tu vois, je reste beau lecteur. J’ai quand même acheté le volume mal préparé pour la postérité des aphorismes complets de Pierre Peuchmaurd, mordicus je t’ai dit, et racheté du coup les aphorismes de Pierre Peuchmaurd que j’avais déjà achetés et lus, les ceux parus chez toi, L’Oie, les ceux parus chez Pierre Mainard (nous reviendrons chez Pierre Mainard), que j’avais achetés à l’occasion des dix ans de métier que fêtait l’éditeur. C’était en 2009, à Bordeaux, Peuchmaurd venait de mourir. J’avais de mon côté fait le voyage du Mans.
– Tu vois, L’Oie, je ne rechigne pas aux contorsions pour bien me faire comprendre de toi. Deux pronoms valent mieux qu’une seule précaution. + birthday avec funérailles.
(j’alourdis)
Il ne reste plus au lecteur qu’à se colleter avec le contenu. C’est le plus beau (faute de reliure, on bouffe du contenu). Ça ravira sa vie de prolétaire nourri aux écrivains nantais. C’est un mort qui te parle. La Position du pissenlit est inédit, dernier volume. Ni Pierre Mainard ni L’Oie ne l’avaient publié auparavant. C’est les dernières paroles d’un mort en route vers la sortie. Je te les recommande en plus du reste. Omnipotence : la potence pour tous. Il y a de tout, du lard et du moins lard, du gras et de l’ineffable.
C’est quand même humain, une vie d’araignée. Ça se planque dans un coin et ça attend la bouffe, l’amour et la mort.
(je file)
Comment font-ils, ceux qui dorment d’un sommeil paisible ? Ils n’ont donc rien à reprocher aux autres ?
Les Fatigues de Pierre Peuchmaurd sont parfois les nôtres. Nous y reviendrons.
Pour célébrer Pierre Peuchmaurd, Le Moineau par les cornes, Pierre Mainard Éditeur (47600 Nérac), 2007.
La facilité, c’est de lire comme tout le monde. À une époque éprise d’individualisme et de singularité, le paradoxe pourrait être gênant.
Il existe heureusement des éditeurs courageux (pas suicidaires pourtant) qui lancent des livres avec une discrétion qui ressemble à de l’acharnement. Chacun peut finalement lire à sa mesure, discrète ou acharnée, et la profusion de ces livres rares, qu’il faut aller chercher contre les apparences, dissipe la confusion des livres trop facilement offerts.
Ce Moineau attrapé par les cornes, suites d’aphorismes incisifs, pourra réconcilier notre époque supersonique avec le temps gastéropode de la lecture. Pierre Peuchmaurd, qui plus est, ne se laisse pas impressionner par son époque – et moins encore par ses prédécesseurs :
« Ne me parlez pas sur ce ton : je mesure un centimètre de plus qu’Apollinaire et je chausse la même pointure que Rimbaud » (p.48).