1056.

Voyez aussi comme la diversité des goûts s’uniformise dans la majorité des livres.

 

Je guette un retour d’ascenseur, la porte ouverte sur le vide.

 


 

La Cause littéraire m’informe qu’un article sur Le
Plancher
est en ligne. Je m’en réjouis pour elle. Ce site propose de servir la littérature. L’excuse est un peu rassise, mais je flirte moi aussi avec elle en titillant la plaie ouverte.
L’idée consiste à inviter des lecteurs rédacteurs à dire combien ils ont aimé ou non tel ou tel livre et, si le temps le permet, beau fixe ou nuages gris, pousser la chansonnette du désespoir ou
de la joie de vivre en se fendant d’un texte plus personnel, une nouvelle, un poème. C’est en ligne.

 

Pourquoi pas ? La diversité est réelle, la maîtrise du français et des codes littéraires tout à fait instructive.

 

Je n’aurais rien eu à en dire si je n’avais aussi voulu verser mon obus à une si juste cause, littéraire s’il en fuit, et lu la Charte de bonne conduite à respecter
avant d’écrire. Clause première :

 

Les racismes hors d’usage et la pédophilie dans et hors les familles sont formellement proscrits.

 

Cela aurait été sans dire. Je poursuis donc en maugréant la liste des interdits autorisant tout un chacun à écrire et à dire. Tenez-vous bien, attachez vos lacets,
finissez de rougir ! Les propos injurieux, les anathèmes, les invectives, les harcèlements, l’incitation aux crimes contre l’humanité, le vol de la propriété intellectuelle et la provocation
sont des causes immédiates de licenciement.

 

C’est là que j’ai cliqué. Je me suis viré moi-même. Je me voyais déjà crachant sur mon prochain, honnissant sa conscience tartignole, poivrant ses nuits d’un plomb
fondu dans du mauvais esprit. Inutile d’insister. J’étais viré d’avance.   

 

Les bras m’en sont tombés à quatre pattes.

 

 

 

(Je ne vois que Don Quichotte dont la vie fut un roman, et encore, à une époque où il ne faisait pas bon vivre.)

1048.

Je cherche l’empreinte du martèlement, rarement la ciselure.

 

(Pas d’escalope panée dans notre maison.)

 


 

 

Job et Jérémie, libraires indépendants.


[ Extrait 3 ]

 

– Job.
– Quoi ?
– On a trois nouvelles commandes du Plancher.
– Le Lecteur cherche à nous éprouver, Jérémie.

Job et Jérémie

Les libraires indépendants sont magnifiques. Ils sont devenus les victimes superbes d’un monde échu. Il est d’usage de rendre hommage à leur courage. Ne nous en
privons pas. Après tout, Le Livre est en danger.

 

En défendant Le Livre, les libraires ont compris qu’ils s’épargnaient le souci d’avoir à choisir des auteurs et des livres. Qu’on les rappelle à leurs
responsabilités, ils s’en offusquent. Et puis retournent à leurs cartons. Bientôt les ponts. Splendeur de la misère en librairie.

 

Les librairies indépendantes sont magnifiques. La méchante Amazone est responsable de tous leurs maux. Nous ne pouvons lutter ! disent-elles, en poussant les
hauts cris, cris, cris – échos dans les journaux. Mais en revanche elles tiennent, comme la moule à la frite, au modèle économique qui les enchaîne aux éditeurs-distributeurs. Les librairies
indépendantes ont renoncé à faire des choix, quand Amazon a fait les siens depuis longtemps.

 

J’ai déposé le 25 avril 2013 deux exemplaires du Plancher de Perrine Le Querrec, à L’Atelier, Paris 20e, librairie indépendante associée à Libr’est. Je reçois hier un mail m’invitant à passer reprendre les exemplaires qu’ils n’ont malheureusement
pas vendus. J’ai failli m’excuser. En réponse, je leur signale deux choses : leur renoncement après cinq mois ; leur responsabilité dans la mévente (+ quelques blagues de mauvais goût pour
entretenir la distance).

 

Les libraires indépendants sont impayables. Ils préfèrent ramer contre Amazon à l’urgence d’échapper au flux qui les noie. Ainsi poussent-ils avec vaillance des
livres aux titres interchangeables, leurs bouées de sauvetage, en s’étonnant d’être devenus les débardeurs des éditeurs-distributeurs ; leur boutique, le showroom d’Amazon. Des lois retarderont
le processus, pensent-ils, mais au prix d’une amplification de leurs renoncements. Préparons-nous en prime aux mégawatts de leurs jérémiades.

 

Job et Jérémie, libraires indépendants.

 

(Les libraires aimeraient bien avoir le monopole de Jean-Rolin. Mais Amazon dit I love Jean-Rolin aussi.)

 

Ils ont eu l’air surpris de ma réponse, à l’Atelier, on a généralement plus d’égards pour les libraires, ces pasteurs de littérature tarifée. Ils me proposent du
coup de renvoyer les livres, renonçant à faire l’économie d’un timbre pour m’épargner le voyage à Paris. C’est chic ! Les libraires sont magnifiques –

 

– prêts à payer chaque mois les frais de port aller-retour aux éditeurs-distributeurs, mais ils invitent courtoisement les artisans de livres inattendus à venir les
reprendre aux quatre coins de la France occupée à remplir et vider des cartons d’Hachette-Nouveautés. Nous attendons encore les livres que les libraires de La Machine à lire, à Bordeaux, tiennent à notre disposition.

 

(Pour les lecteurs, c’est non.)

 

J’ai au moins gagné ça. Je n’aurai pas à me farcir les bobos du 20e en extase aquatique dans Jean-Rolin. – Prix de
la langue française, sauce comprise.

 

Incapable de lire autre chose, le libraire donne le change en acceptant en dépôt des livres dont le sens littéraire et politique lui échappe et qu’il déstocke au
bout de quelques mois. Demande à ton pied gauche d’apprécier ton pied droit.

 

Le problème du livre, c’est le faussaire indépendant.